L’entrepreneuriat social selon Ashoka : marier efficacité économique et intérêt général pour être tous acteurs de changement !

La gestion du bien commun et de l’intérêt général est en forte évolution ces dernières années. La résolution de problématiques sociales n’est plus cantonnée à des acteurs uniques dont ce serait la responsabilité exclusive. Le rôle de l’Etat change, la participation des associations à la prise en charge de certaines problématiques sociales s’accroît, les attentes face à l’implication des entreprises privées se modifient. De fait, la plupart des solutions sociales innovantes dépassent aujourd’hui les frontières traditionnelles entre les différents acteurs : pouvoirs publics, entreprises privées et organismes sans but lucratif. Co-création entre acteurs historiquement cloisonnés

De plus en plus d’entreprises se rendent compte qu’elles ne peuvent plus ignorer l’environnement socio-économique dans lequel elles évoluent. L’application d’une politique de responsabilité sociale (RSE) est une première manière de s’engager. Des actions de mécénat, parfois à travers une fondation d’entreprise, sont une autre manière de soutenir une cause d’intérêt général. Ces logiques restent cependant à la périphérie du cœur de métier de l’organisation et ne permettent pas d’envisager des réponses nouvelles à grande échelle.

Plus récemment, des entreprises s’impliquent de manière plus décidée en inventant de nouveaux modèles qui concilient impératifs financiers et impacts sociaux et écologiques. Cette volonté de créer de la « valeur partagée » en plaçant les bénéfices environnementaux et sociétaux au même rang que les bénéfices financiers, au cœur de la logique compétitive de l’entreprise commence à se diffuser depuis quelques années.

Le Social Business va dans le sens d’une réconciliation entre l’économique et le social, entre entreprises privées et acteurs sociaux, pour co-construire des solutions innovantes à des problématiques sociales. Ce courant est notamment porté par Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix et fondateur du Grameen Bank qui nous redisait lors d’un rendez-vous en mai 2012 :Rencontre inspirante Muhamad Yunus & Nicolas Cordier «On développe un Social Business pour résoudre un problème social de façon entrepreneuriale. Le principe de fonctionnement : ni perte, ni distribution de dividendes; les profits sont réinvestis pour maximiser l’impact social.»

Pour l’entreprise, le Social Business signifie une inclusion plus forte par rapport aux politiques de mécénat ou de RSE :

  • s’affranchir de l’enveloppe budgétaire par un modèle rentable;
  • oser imaginer un changement d’échelle dans la résolution d’une problématique sociale;
  • réaffirmer l’importance des compétences des collaborateurs pour trouver des solutions inédites;
  • fonctionner systématiquement en partenariat avec des acteurs de terrain.

Entre un objectif unique de création de valeur sociale et la seule création de valeur financière, le schéma suivant positionne les différents curseurs possibles.Les différents types d'entreprises socialesLogo Ashoka

Ashoka, une organisation au service du changement sociétal depuis plus de 30 ans !

Si dans le milieu de l’innovation sociale, Ashoka est un nom mondialement connu et reconnu, force est de constater que sa notoriété a encore un fort potentiel de développement au niveau du grand public et des acteurs privés. Au-delà de quelques mentions au fil des articles de ce blog, il me semblait intéressant de présenter plus en détail ce premier réseau mondial d’entrepreneurs sociaux, des femmes et des hommes qui cherchent à construire un nouvel art de vivre ensemble là où ils œuvrent.

Constuire une « absence active de tristesse »

Ashoka ou Açoka a une double signification : ce fut un grand empereur indien au IIIème siècle avant J.-C. : après avoir unifié une grande partie du sud de l’Asie à force de batailles, il renonce à la violence orientant son empire vers la tolérance, la croissance économique et les projets sociaux. Considéré comme l’un des premiers entrepreneurs sociaux au monde, il a initié les premiers services médico-sociaux, développé les infrastructures, le bien-être social et la coopération avec ses pays voisins. Par ailleurs, en sanscrit, Ashoka signifie « absence active de tristesse » : tout un programme à construire !

Aider ceux qui aident

Bill Drayton, AshokaC’est l’américain Bill Drayton qui fonde Ashoka en 1980 à Washington DC : une organisation sans but lucratif, laïque et apolitique. La genèse remonte pourtant au début des années soixante. Bill Drayton, alors âgé de 20 ans, effectue son premier voyage en Inde. La réalité théorique des chiffres de la misère et des inégalités prend alors le visage et le nom de personnes qui vivent dans leur chair ces situations de misère et de pauvreté. De retour aux États-Unis, il a envie de « faire quelque chose » mais sait que son manque d’expérience ne lui permettra pas d’aller bien loin. Il a néanmoins l’intuition qu’il souhaite soutenir les personnes qui œuvrent déjà sur le terrain.  Il définit également alors une conviction qu’il n’abonnera pas : « Il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une idée nouvelle lorsqu’elle est dans les mains d’un véritable entrepreneur. »

C’est ainsi après avoir acquis une large expérience professionnelle, comme consultant chez McKinsey puis à l’Agence de protection de l’environnement sous l’administration Carter, que Drayton lance son organisation dont le cœur de métier est de repérer et d’accompagner des Entrepreneurs Sociaux innovants (appelés « Fellows » dans le vocable Ashoka), dont l’activité peut changer la vie d’un grand nombre de personnes dans le domaine de la santé, de l’éducation, l’environnement ou la lutte contre les discriminations et les inégalités …

Un soutien aux porteurs de changement

Ashoka sélectionne ses fellows par un processus rigoureux et exigeant en cinq étapes permettant notamment de valider, au-delà de l’impact social à grande échelle, la créativité, le tempérament d’entrepreneur et l’éthique irréprochable des futurs lauréats. Ashoka ne soutient en effet pas des projets mais les personnes qui les portent, particulièrement pendant la phase de développement de leur activité. L’approche d’Ashoka se définit ainsi comme celle du  « capital-risque philanthropique. »

Les premiers fellows ont été choisis en Inde en 1981. En 30 ans, ce réseau s’est étendu à plus de 3.000 entrepreneurs sociaux innovants dans 80 pays. 150 nouveaux entrepreneurs gonflent les rangs des fellows chaque année. L’accompagnement des fellows se traduit par la mise à disposition d’un réseau d’experts dans des domaines clés, duInfographie Ashoka Fellows coaching par des entrepreneurs du monde de l’entreprise, l’intégration au réseau mondial Ashoka, une aide financière pour une durée maximale de 3 ans afin de permettre à certains lauréats de travailler à plein temps à leur projet et une aide à la levée de fond pour son développement.

Ashoka a pour vocation de « faire émerger et de soutenir les solutions entrepreneuriales les plus innovantes aux défis sociaux et Logo Ashoka Everyone A Changemakerenvironnementaux actuels, ce qui a pour effet d’inspirer tous les acteurs de la société à devenir à leur tour des acteurs de changement. » C’est le sens de sa signature : « Everyone a changemaker™ » dont la parenté avec la célèbre maxime de Gandhi « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » remonte également au premier voyage de Drayton en Inde.

Innover pour un impact durable sur la société

« Les entrepreneurs sociaux ne se contentent pas de donner un poisson ou d’enseigner comment pêcher. Ils ne sont satisfaits que quand ils ont révolutionné toute l’industrie de la pêche. » Cette vision illustre bien ce que Bill Drayton, surdiplômé de Harvard, Yale et Oxford, engagé très jeune dans les mouvements des droits civiques et disposant d’une double culture professionnelle privé-public, cherche à entreprendre : dépasser la philanthropie traditionnelle pour aller vers une démarche plus entrepreneuriale de la résolution des problèmes sociétaux. C’est ce que présente cette vidéo de 3’04’’ :

Au fil des années, Bill Drayton et son organisation ont ainsi popularisé le terme d’Entrepreneur Social, même si un sondage OpinionWay pour Le baromètre de l’entrepreneuriat social 2012 réalisé par le think tank Convergences 2015 montrait qu’en 2012, 8 français sur 10 n’ont pas encore idée de ce que cela signifie.

Anne Charpy, fellow Ashoka 2013Anne Charpy, Voisin Malin

Lors de la dernière promotion française de fellows Ashoka présentée en octobre dernier, j’étais très heureux de voir y figurer Anne Charpy. Nous avions eu l’occasion de travailler ensemble dans le projet CONTIGO, organisation pionnière du microcrédit à Santiago du Chili au début des années 1990.

Logo Voisin MalinAnne a développé le projet Voisin Malin qui vise à développer la solidarité entre voisins, emploie et forme des « habitants-ressources » au cœur des quartiers, pour faire du porte-à porte, de la traduction orale, accompagner des habitants dans leurs démarches ou expliquer les projets de la ville.

« Près de 8 portes sur 10 s’ouvrent au passage des Voisins qui se déploient auprès des habitants sur l’ensemble d’un quartier. Les Voisins font ainsi « le dernier km » en sachant créer la confiance avec leurs « pairs ». Ils peuvent ainsi recueillir un besoin, donner une information, expliquer un projet, mettre en lien avec un service ou accompagner dans une démarche en visant l’autonomie des habitants. Ensemble, les Voisins construisent une expertise à partir de ces nombreux contacts et deviennent in fine force de proposition pour les acteurs locaux. » explique Anne. > Voir la vidéo interview de présentation !

Briser les barrières entre acteurs historiquement cloisonnés

Tout en continuant à s’appuyer sur l’identification, la mise en valeur et le soutien des entrepreneurs sociaux innovants, le rôle d’Ashoka se renforce dans le développement de collaborations nouvelles entre acteurs sociaux et entreprises privées. Face à la complexité des problématiques, il s’agit de favoriser l’émergence de modèles hybrides à même de mieux répondre aux enjeux sociétaux par une mise en commun des forces et compétences de chacun. « Parce que les grand enjeux de société ne pourront être résolus que si on invente de nouveaux modèles, plus innovants, pragmatiques et efficients, Ashoka veutBrochure Ashoka Europe 2013-2014 désormais impulser un mouvement plus vaste d’acteurs de changement, et favoriser la création de nouvelles alliances à la croisé du social, du business et des pouvoirs publics. Inspirer, encourager, faciliter la co-création d’activités nouvelles à fort impact social, en faisant tomber les barrières entre les parties prenantes de la société, et équiper les jeunes générations avec les compétences indispensables pour changer le monde. » > voir la brochure ci-joint

En particulier, deux initiatives traduisent cette volonté de rassembler une communauté d’acteurs engagés dans l’innovation sociale pour accélérer le développement de ces solutions hybrides : l’Ashoka Center et la League of Intrapreneurs.

Ashoka Center : Social & Business Co-Creation

Logo Ashoka Centre« Des collaborations innovantes, durables parce que rentables et porteuses d’impact social démultiplié » c’est la vision qui a sous-tendu la création de l’Ashoka Centre dans les locaux du Palais Brongniart à Paris précise Arnaud Mourot directeur d’Ashoka France, Belgique et Suisse. « C’est un centre européen de co-création largement ouvert à tous ceux, entrepreneurs sociaux, entreprises ou pouvoirs publics, qui désirent inventer des solutions à l’échelle des enjeux de la société. Il y est proposé d’y faire fructifier la notion de « chaîne de valeur hybride » : une chaîne de valeur croisant des « espèces » différentes pour obtenir, comme toute hybridation, un résultat renforcé! »

Etude Business & ImpactLe forum européen de la co-création proposé en avril 2013 par l’Ashoka Center a été l’occasion de présenter officiellement l’étude réalisée conjointement avec Accenture « Business & Impact, sortir de la pauvreté en inventant de nouveaux modèles à la croisée du social, du privé et du public en Europe » très intéressante pour prendre la mesure des besoins des 50 millions de personnes pauvres dans les 7 pays européens étudiés.

The league of intrapreneurs Ashoka AccentureLa ligue des Intrapreneurs

Fin 2012 un concours mondial destiné aux « intrapreneurs sociaux », c’est-à-dire les acteurs de changements qui œuvrent depuis l’intérieur des entreprises pour faire bouger les lignes a été lancé.

L’excellent petit livre « L’intrapreneuriat social : la nouvelle frontière de l’innovation sociale pour l’entreprise » (déjà cité dans l’article « Corporate changemakers ») définit l’intrapreneuriat social comme « la mise en place par un salarié d’une démarche entrepreneuriale, en interne, qui combine modèle économique équilibré et fort impact social, dans un projet structuré et ambitieux, en lien avec le métier de l’entreprise. »

ashoka ChangemakersA la demande de Lionel Bodin, représentant d’Accenture Development Partnerships et de Stéphanie Schmidt, directrice du programme « Citoyenneté économique pour tous » d’Ashoka, le projet leroymerlin.communities que je développe a été présenté ; cette proposition d’incubateur de social business pour les habitants en situation de précarité au niveau de leur logement au cœur du métier de Leroy Merlin a été l’un des seuls projets français pour plus de 230 initiatives proposées. Il a été retenu parmi les 15 finalistes qui constituent la ligue inaugurale des intrapreneurs sociaux. Nous avons eu l’opportunité de partager nos expériences respectives à Londres en avril dernier.
Inaugural League of Intrapreneurs AshokaBill Drayton qui nous accompagnait ce jour-là résume assez bien cet esprit de collaboration et de mise en commun des acteurs de changement qu’Ashoka souhaite impulser en affirmant «La seule chose plus puissante qu’une bonne idée dans les mains d’un entrepreneur, est un groupe d’entrepreneurs qui collaborent.»

Espérons que ce mouvement des acteurs de changement s’accentue et continue à se propager, de même que la co-création entre acteurs historiquement cloisonnés pour construire ensemble des solutions inédites afin d’être des actifs dans «l’absence de tristesse»…

A propos Nicolas Cordier

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5 commentaires pour L’entrepreneuriat social selon Ashoka : marier efficacité économique et intérêt général pour être tous acteurs de changement !

  1. Frenkiel dit :

    Comment faire dans un contexte économique déprimé ? Et lorsque de nombreux clients bénéficient de la gratuité alors que de nombreux acteurs veulent vivre de leur travail et sont donc victime d’une concurrence déloyale ? Le problème se posent en Normandie (et pas seulement là, en Bourgogne aussi par exemple) pour les animateurs d’ateliers d’écriture. Or l’écriture en groupe est un puissant facteur de changement et de transformation. Il me semble qu’il faille élargir ses représentations de la réalité et faire tomber ses anciennes croyances limitantes. Mais comment ?
    Je suis preneur de suggestions et d’idées. Pierre Frenkiel cofodateur du CICLOP (ciclop.free.fr). En tout cas Merci à Nicolas Cordier pour ses contributions, ses informations aussi !

  2. deseyssel dit :

    Bravo NICOLAS,

    Bonne continuation

    Merci de nous abreuver de bonnes nouvelles…

    PS j’ai rencontré Olivier BERU, sacré bonhomme… il m’a dit être un ami très ancien d’une famille que j’aime bien dans le nord 😉

    Gauthier de SEYSSEL

    KodooWAY management

    gdeseyssel@Kodoo.fr

    +33 (0)6 64 03 84 80

  3. Ricardo Silva dit :

    excellent article. Merci beaucoup de me montrer ce que vous avez fait aujourd’hui Anne Charpy Cordialement

    Ricardo Enviado desde mi iPhone

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