« L’absence d’être, voilà ce dont meurt notre économie », entretien avec Emmanuel Faber

Beaucoup d’incertitudes nous entourent. La crise financière, économique, sociale est profonde, brutale pour certains, elle provoque beaucoup d’angoisse. Le court terme semble dicter beaucoup de nos rythmes collectifs et individuels. Crise économique ou crise de l’économie, ce sont plus que jamais les questions de sens, de finalité, celle de nos visions et de nos actions, qui sont au cœur des enjeux actuels. La crise sera-t-elle salutaire par la remise en cause des limites d’un système qui semblent désormais atteintes ? Peut-être. Ou peut-être pas. Cela dépendra peut-être d’un petit groupe de personnes – c’est d’ailleurs toujours ainsi que le monde a changé ! (M. Mead). Et de chacun de nous.

Oser croire qu’une autre économie est possible, telle était l’invitation lancée en une froide soirée du mois de février au Centre du Hautmont près de Lille. Emmanuel Faber, vice-président de Danone, et auteur du livre « Chemins de traverse. Vivre l’économie autrement » était notre invité. Son expérience, son témoignage et ses questions ont accompagné l’intérêt et l’envie de cheminer des 500 personnes présentes.

Vivre l’économie autrement, c’est d’abord une invitation à un chemin d’humanité. A écouter avec les yeux du cœur. Pour reconnaître cette petite voix qui monte au fond de nous-mêmes. Car comme l’écrit Emmanuel, « c’est à nous et à nous seuls qu’il incombe de reprendre ce qui nous appartient : le sens et le temps. » Il nous incite dans ce premier extrait (2’39’) à « quitter le temps pour vivre la durée ».

La racine grecque du mot économie, oïkos nomia, nous indique que c’est l’art de vivre ensemble. Nous sommes sans doute beaucoup à regarder autour de nous, à regarder en nous, et à ne pas voir beaucoup d’art, pas beaucoup de vivre et pas beaucoup d’ensemble. L’invitation à construire un autre monde, à vivre l’économie autrement, à penser « à côté » pour un art de vivre ensemble renouvelé est plus que jamais d’actualité. On oppose souvent l’économique et le social alors que c’est une même réalité. Comment briser les codes pour voir le monde différemment ? (7’21 »)

Ainsi, si l’entreprise n’existe que par son utilité sociale, prendre le risque de cette réconciliation c’est également emprunter le chemin, peu fréquenté, de l’unité personnelle intérieure. Mais n’est-ce pas parfois plus simple de vivre une dichotomie assumée qui monte une paroi étanche entre le méchant businessman de la semaine et l’altruiste bénévole du week-end ? (Voir cet extrait 1’25 »)

Grameen Danone Foods Ltd, une initiative pionnière qui fait école. En 2005, avec Muhammad Yunus, fondateur du Grameen Bank et prix Nobel de la paix un an plus tard (voir aussi l’article sur le social business selon Yunus), Danone initie un projet innovant: un joint-venture d’une nature nouvelle pour réduire la pauvreté par un modèle de proximité unique apportant une meilleure nutrition aux enfants des campagnes du Bangladesh, grâce à un yaourt enrichi en micronutriments : le Shokti Doi. Le projet doit être rentable pour être durable, mais sa finalité est essentiellement sociale. Pas de pertes financières, pas de dividendes pour les actionnaires non plus.

D’autres projets ont vu le jour au sein de l’incubateur de social business  danone.communities : la Laiterie du Berger au Sénégal, 1001 fontaines au Cambodge, ou plus récemment en France, Isomir qui vise à valoriser les productions locales et pérenniser l’emploi des petits producteurs…

Ce double projet économique et social s’inscrit dans la culture de l’entreprise Danone. C’est également l’héritage du « discours de Marseille » prononcé par Antoine Riboud aux Assises nationales des entreprises réunies par le CNPF (aujourd’hui MEDEF) le 25 octobre 1972.

Ce discours a fait date car pour la première fois un patron prônait la nécessité de prendre en compte la dimension humaine de l’entreprise : « La responsabilité de l’entreprise ne s’arrête pas au seuil des usines ou des bureaux. Les emplois qu’elle distribue conditionnent la vie entière des individus. Par l’énergie et les matières premières qu’elle consomme, elle modifie l’aspect de notre planète. Le public se charge de nous rappeler nos responsabilités dans cette société industrielle. (…) La croissance ne devra plus être une fin en soi, mais un outil qui, sans jamais nuire à la qualité de vie, devra au contraire la servir ».

Avec trente ou quarante ans d’avance, Antoine Riboud y évoque des problématiques bien actuelles : le développement durable, la RSE ou la nécessité d’une utilité sociale de l’entreprise. Ce discours est présenté et publié par Pierre Labasse dans Antoine Riboud, un patron dans la cité.

Cet ancrage historique illustre l’importance de la culture interne de l’entreprise, de ses valeurs et de sa mission pour innover au cœur d’un écosystème cohérent. L’émergence de la nouveauté s’inscrit toujours dans une histoire ! C’est ce qu’illustre bien la naissance du projet Grameen Danone (7’29 »)

« Inoculer le virus du social business, c’est participer à la transformation de l’entreprise. » Au-delà du chemin de conscience de chaque collaborateur, et sans « OPA sur la morale », les dirigeants ont un devoir d’utopie pour autoriser chacun à explorer les chemins d’une économie vécue autrement. C’est en effet au contact de réalités porteuses d’espérance car centrées sur la résolution pragmatique de problématiques sociales que de nouvelles envies d’engagements de collaborateurs pourront surgir … (2’03 »)

Voir également les articles de presse suivants à l’occasion de la sortie du livre Chemins de traverse en novembre 2011 : Article E Faber La Croix 6 nov 2011

Article E Faber Le Nouvel Obs 11 nov 2011

Cette intervention a eu lieu dans le cadre des soirées « Vivre l’économie autrement » organisée au Centre du Haumont à Mouvaux.

A propos Nicolas Cordier

Social business intrapreneur, corporate changemaker, dreamer and doer, blogger on liberated compagnies, open innovation & how to be an actor in a changing world
Cet article, publié dans Innovation, leadership & management, Social business, Soirée Vivre l'économie autrement, est tagué , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

9 commentaires pour « L’absence d’être, voilà ce dont meurt notre économie », entretien avec Emmanuel Faber

  1. Ping : L’entreprise compatible avec le social business ? | Nicolas Cordier

  2. Theillier dit :

    l’absence d’être….. ce dont meurt notre société au sens large…… l’économie n’étant qu’une expression de notre société….. et idéalement, un moyen, mis au service de l’homme et de la société

  3. Ping : « Le goût de l’autre » : la crise est une chance pour réinventer le lien nous dit Elena Lasida | Nicolas Cordier

  4. Ping : « Qu’est-ce qui nous rend humains ? » ou l’invitation à dépasser nos clivages pour construire ensemble un nouvel art de vivre ensemble | Nicolas Cordier

  5. Ma Sante dit :

    bonjour je vous signale que votre site bugge sous le navigateur Demonecromancy 8.8 ca doit venir du theme wordpress https://maxsante.wordpress.com/2015/04/26/introduction-aux-mineraux/

  6. Ping : Pourquoi la RSE et le Développement durable ne suscitent pas l’enthousiasme : allons vers une RSE 2.0 au cœur de nos métiers ! | Nicolas Cordier

  7. Ping : Les entreprises humanistes : plus fortes non par calcul mais par choix. Et elles peuvent changer le monde ! | Nicolas Cordier

  8. Ping : Face à une innovation technologique déconnectée des réalités sociétales, comment réconcilier business et sagesse pour un impact positif ? | Blog de Nicolas Cordier

Laisser un commentaire