L’entreprise du XXIe siècle sera engagée ou elle ne sera plus !

« L’engagement social des entreprises n’est plus seulement un levier pour attirer les talents, conquérir des marchés ou accéder à de nouveaux financements. Il est devenu une exigence qui met en concurrence toutes les entreprises dans leur capacité à mobiliser leurs collaborateurs et parties prenantes. »

Dans la lignée de nombreux articles de ce blog pour décrypter l’émergence de nouveaux modèles qui réconcilient économie, société et entreprise – que ce soit par la transformation humaine et managériale des organisations ou la construction de modèles hybrides d’impact sociétal –  une tribune de Bernard Gainnier, président de PwC France, publiée dans Les Echos pose la question de l’engagement de l’entreprise comme condition de sa pérennité. Ses propos explicitent bien la convergence entre le nouveau rôle « contributif » ou à « impact positif » des entreprises vis-à-vis de la société, l’importance de réinventer les modèles de croissance et de création de valeur et le rôle essentiel de l’engagement des collaborateurs autour de projets porteurs de sens.

Bernard Gainnier est le président pour la France et l’Afrique francophone de PwC – PricewaterhouseCoopers, l’un des quatre grands cabinets d’audit et de conseil dans le monde. L’accompagnement de nombreuses entreprises dans le monde lui donne un poste d’observation de premier rang sur les évolutions des entreprises et de leurs interactions avec la société. Après une phase de transformation culturelle et des métiers de PwC, Bernard Gainnier veut aujourd’hui faire de ce cabinet une « entreprise à mission », avec une stratégie qui s’articule autour de trois axes : expérience client réinventée, expérience collaborateur unique et engagement sociétal.

Il y a vingt ans, les entreprises devaient prendre le virage de la transition digitale alors que beaucoup de dirigeants ne voyaient pas encore la manière dont la révolution Internet allait bousculer leurs métiers, les attentes des consommateurs et l’émergence de nouveaux acteurs sur leur marché. Certaines ont accumulé du retard, d’autres ne s’en sont pas remises. Aujourd’hui, la révolution en cours est celle du sens, des valeurs, de l’impact positif. Le caractère « contributif » de l’entreprise sera l’élément distinctif des organisations qui seront « choisies » par leurs clients et leurs collaborateurs.

La raison d’être comme nouvel axe de différenciation et le fait qu’il ne peut y avoir de finalité sans impact illustraient d’ailleurs notre article Entreprise, objet d’intérêt collectif : le sens au service de la performance ? Simon Sinek auteur du livre Start With Why met d’ores-et-déjà son affirmation au présent de l’indicatif : « Les consommateurs n’achètent pas ce que vous faites, ni comment vous le faites : ils achètent la raison pour laquelle vous le faites. »

C’est donc un enjeu de survie. C’est aussi un défi de cohésion sociale, condition fondamentale pour construire sur le long terme. Cela passe évidemment par une synthèse nouvelle et certainement plus personnelle du rôle de l’entreprise au-delà de la seule création de valeur économique par ses plus hauts dirigeants.


« Créer de la valeur, c’est vital pour les entreprises. On pense depuis longtemps que le profit est l’ultime finalité de l’entreprise, et la satisfaction de l’actionnaire, son but suprême. Heureusement, les temps changent. Le débat en France sur la raison d’être des entreprises a permis de porter cette question majeure au cœur du débat public. Le profit, c’est capital, mais désormais la condition supplémentaire nécessite qu’il soit couplé avec la notion de bien social, avec le sens du long terme. Elle empêche ainsi la désagrégation sociale et l’avènement de politiques populistes.

Les entreprises doivent se repenser, car elles ne sont pas en dehors de la société, elles sont la société. Et leurs actions influent de mille façons sur l’organisation sociale. Elles se composent avant tout de citoyens qui ont des convictions et des aspirations sociales et citoyennes déterminées. Elles ont donc aussi des comptes à rendre à la société en même temps qu’une mission vis-à-vis d’elle : servir l’intérêt général avec les moyens qui sont les leurs (humains, financiers, technologiques…).

Oui, les temps changent. Même les fonds de pension, naguère obnubilés par le retour sur investissement financier immédiat, font leur mue et insistent sur cette nécessaire vocation sociétale. Le concept d’investissement responsable, de finance éthique entre dans les mœurs. Gare à tous ceux qui restent aveugles à ces évolutions, ils risquent de le payer cher dans les années à venir !

Les temps changent, mais les mentalités résistent encore au changement. On peut encore entendre dans certaines entreprises le management s’exclamer : « Nous ne sommes pas une ONG… Notre rôle est de servir nos clients, point final… » Combien de dirigeants et de managers freinent encore des quatre fers quand leurs collaborateurs décident de donner de leur temps, de leur énergie et de leurs compétences au profit d’une association caritative ? Il m’arrive encore d’entendre que « le pro bono, c’est du temps perdu ; s’ils souhaitent jouer les bons samaritains, les collaborateurs n’ont qu’à le prendre sur leurs congés ou leur temps de loisir… »

Ces schémas de pensée n’ont plus leur place dans le monde qui vient. Car nous devons faire véritablement de l’entreprise une solution et non un problème.

La résistance au changement est réelle, et la technologie n’y change rien. Elle n’est qu’un moyen, un outil très performant au service de l’humain et non un but ! N’attendons pas du numérique qu’il apporte une solution miracle. C’est une illusion, même si elle est ancienne.

Il n’y a pas de remèdes miracles, mais il y a un facteur clé au changement, qui agit comme une lame de fond : les nouvelles générations. Elles exigent de leurs aînés et « supérieurs hiérarchiques » qu’ils aient une vision, une exemplarité, une fibre sociale et des engagements au service de tous et de chacun. Faute de quoi ils s’impatientent, se démobilisent et vont chercher ailleurs un nouveau modèle d’inspiration. Chaque jour, ils nous challengent, nous bousculent pour la bonne cause, nous enjoignent de changer et de faire évoluer nos modes de management afin que nos entreprises aident la société à changer !

C’est une erreur de stigmatiser l’hyper-individualisme de notre société et l’égoïsme de ces jeunes. Rien n’est plus faux. Ils savent s’engager, ils veulent s’engager pour des combats qui ont du sens – et avec pragmatisme, en se lançant par exemple dans des actions de mécénat de compétence. Ils doivent être encouragés par l’entreprise et par toutes ses parties prenantes !

Le jour viendra, que je crois proche, où une entreprise sera mise au ban si elle n’agit pas pour le bien commun, et où les marchés eux-mêmes sanctionneront une telle apathie coupable. « Notre valeur n’est pas déterminée par notre niveau de revenu et de patrimoine, mais par le niveau auquel nous servons les autres », disait Paul Allen, le cofondateur de Microsoft. Chacun peut adopter à son échelle cette maxime.

Une entreprise dépourvue d’ambition collective et solidaire sera bientôt vouée à l’échec. L’avenir passe par la libération des énergies incroyables qui y foisonnent. En définitive, l’entreprise du XXIe siècle sera engagée ou elle ne sera plus. Ce n’est pas tout à fait l’Everest à gravir, mais c’est une face nord encore à conquérir. Je suis certain que nous serons bientôt de plus en plus nombreux à l’emprunter ! »


Pour accompagner les pionniers et favoriser l’identification de ces nouveaux modèles conjuguant performance économique, écologique et sociale, de nouveaux écosystèmes se mettent en place. A ce titre, il faut souligner l’initiative Pact for Impact lancée par la France lors d’un sommet à Paris les 10 et 11 juillet 2019 pour créer une alliance mondiale pour une économie sociale et inclusive.

Le Manifeste Pact for Impact précise que pour accompagner les transformations profondes de nos sociétés en les rendant plus justes économiquement et socialement, en réduisant les doutes et replis qui les traversent, il faut favoriser le partage d’expérience et la coopération et permettre l’émergence de solutions de proximité ancrées dans les territoires. Il s’agit d’atteindre collectivement les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies en promouvant des solutions innovantes permettant le passage à l’échelle en réponse à ces défis.

Christophe Itier, haut-commissaire à l’Economie Sociale et Solidaire et à l’innovation sociale, initiateur de ce projet, insiste sur l’urgence à trouver des solutions à nos défis climatiques, sociaux et démographiques à l’échelle de la planète. Il est convaincu que les solutions nouvelles naîtront de la coopération entre les politiques publiques, le monde économique, la finance et les entrepreneurs sociaux : « Face aux nombreux défis écologiques et sociaux, présents et futurs, nous avons la volonté de créer une nouvelle coalition avec tous les acteurs étatiques et la société civile, de porter au plus haut niveau une vision politique, de forts engagements et des mesures concrètes pour accélérer le développement de l’économie sociale et inclusive au niveau mondial niveau, afin d’élargir les solutions qu’il apporte au niveau local, et d’en faire un pilier de l’économie de demain. »

Les clés d’une gestion hybride réussie

Dans son numéro de Août/Septembre 2019, la Harvard Business Review publie un article de quatre enseignants-chercheurs sur la manière d’allier durablement efficacité économique et performance sociale et environnementale en entreprise en décrivant « les clés d’une gestion hybride réussie. »  > télécharger l’article

« Les entreprises sont poussées à changer, à mettre en sourdine leur quête exclusive du profit et à s’intéresser davantage à leur impact sur leurs salariés, leurs clients, les collectivités et l’environnement. Pratiquer la responsabilité sociale de l’entreprise – RSE – à la marge ne suffit plus, car les enjeux sont trop nombreux et importants : croissance intenable des inégalités, preuves de plus en plus nombreuses des effets dévastateurs du changement climatique, prise de conscience par les investisseurs du conflit entre la rentabilité à court terme et le développement durable. »

Les auteurs ont étudié dans le monde entier pendant une dizaine d’années divers exemples d’organisations poursuivant simultanément des objectifs sociaux et financiers. Ils démontrent que celles qui réussissent sont celles qui adoptent ce qu’ils appellent une gestion hybride, qui place la création de valeur économique et la valeur sociale au cœur de l’engagement et des stratégies de leur organisation.

Ils décrivent quatre pratiques managériales clés pour allier performance économique ET sociale :

  1. Se fixer des objectifs à la fois économiques et sociaux – au-delà de l’affichage d’une ambition globale mais pour s’engager véritablement autour de la double mission de l’entreprise auprès de l’ensemble de ses parties prenantes – et évaluer régulièrement leur réalisation conjointe (ce qui implique de trouver les bons indicateurs de suivi de la performance sociale) ;
  2. Structurer l’entreprise pour bien identifier et coordonner les liens entre activités créatrices de valeur sociale et celles de valeur marchande, avec des espaces d’arbitrage pour gérer les inévitables tensions entre ces deux dimensions ;
  3. Recruter et sociabiliser leurs collaborateurs pour qu’ils soient alignés au principe de double objectif et qu’ils y contribuent : formations, rituels, évaluation, …
  4. Incarner cette double mission dans l’exercice du leadership.

A quoi sert la « raison d’être » dans les entreprises ?

En complément, le site français de la Harvard Business Review propose une chronique Jean-Florent Rerolle et Bertrand Valiorgue qui revient sur l’utilité des raisons d’être choisies par les entreprises qui se positionnent ainsi sur des questions d’intérêt général. Les auteurs soulignent le caractère essentiel de sa formulation : « L’inscription d’une raison d’être n’est pas un acte banal car elle constitue le socle du cas d’investissement proposé aux actionnaires. Pour qu’elle ait un sens et une portée réelle, elle doit être la clé de voûte d’un projet stratégique sur le long terme. »

Ils s’appuient notamment sur les travaux du professeur de stratégie Todd Zenger pour identifier les trois piliers donnant de la consistance et de la matérialité à une raison d’être.

  1. Redéfinir son « intention stratégique » et les objectifs poursuivis, c’est-à-dire proposer une contribution d’intérêt général au sein d’un secteur donné ;
  2. Se baser sur les actifs stratégiques tangibles et intangibles de l’entreprise et leur mise en tension ;
  3. Repenser les frontières de l’entreprise et les interactions avec les différentes parties prenantes.

Ce dernier point est essentiel : travailler aux frontières, aux périphéries des écosystèmes habituels de l’entreprise. « Les entreprises ont depuis longtemps appris à considérer les attentes de leurs parties prenantes afin de sécuriser la poursuite de leur projet économique. Inscrire une raison d’être implique de renouveler profondément les rapports entretenus avec elles. Ce travail doit permettre de prendre la mesure des impacts de l’entreprise bien au-delà de ses frontières économiques et organisationnelles. »

« 10% pour tout changer »

Dans son livre « Tipping Point » le journaliste d’origine anglaise Malcolm Gladwell, indique que 10 %, c’est le point de bascule d’une communauté engagée pour faire changer la norme sociale et entraîner dans son sillage la majorité. C’est d’ailleurs dans cette optique que le gouvernement à travers son haut-commissaire à l’ESS Christophe Itier a lancé fin mai 2019 la démarche « 10% pour tout changer » pour rassembler une communauté d’entreprises engagées pour susciter une bascule dans le passage à l’action concret et massif d’une révolution écologique et sociale et passer un cap dans cette révolution entrepreneuriale.

 

Face au nécessaire « changement de logiciel » pour transformer nos représentations trop cloisonnées entre l’économique et le social, fédérer les entreprises engagées dans une économie plus inclusive et soucieuse des problématiques environnementales : entreprises à mission, B Corp et autres entreprises contributives est essentiel pour atteindre rapidement un point de bascule. Après la transformation digitale, la révolution entrepreneuriale qui met le progrès social et environnemental au cœur de la performance doit amener le changement systémique dont nos sociétés ont tant besoin.

Reprenant la définition de la RSE proposée par Emery Jacquillat de la CAMIF « Redonner du Sens à l’Entreprise », le MEDEF vient de publier un rapport intitulé ainsi qui illustre ce nouveau positionnement de la RSE comme une manière de propulser l’entreprise dans sa stratégie et dans sa capacité à répondre aux besoins de ses clients (> à télécharger ici) : « Il y a un mouvement fort de la société que l’entreprise doit être capable d’anticiper. La RSE est un moyen pour l’entreprise de s’interroger sur son avenir, sur l’innovation, sur sa façon de remplir sa mission auprès de ses clients et de ses consommateurs. C’est une manière dynamique et positive de lancer une démarche stratégique. La RSE est au cœur du métier. Quand vous travaillez sur la RSE, vous travaillez sur les fondamentaux de votre métier. La plupart des développements nouveaux se font en termes de RSE : c’est un facteur d’innovation absolument considérable. »

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L’entreprise, objet d’intérêt collectif : le sens au service de la performance ? Soirée Business Leaders avec Jean-Dominique Senard, PDG de Michelin

A l’occasion de la soirée annuelle Business Leaders du groupe de presse La Voix du Nord le 6 décembre 2018, j’ai eu la chance d’être invité à témoigner aux côtés d’Elisabeth Laville du cabinet Utopies et de Bruno Kopczynski, porte-parole de l’intersyndicale d’Ascoval, en écho à l’intervention de Jean-Dominique Senard, alors PDG de Michelin (et nouveau président de Renault depuis le 24 janvier 2019).

Le thème de la soirée est d’actualité : « Entreprise citoyenne : le sens au service de la performance ? » Le rôle de l’entreprise dans la société, à la fois décriée dans ses excès et en même temps pourvoyeuse d’emplois et de création de valeur est questionné. La notion d’entreprise « citoyenne » laisse entendre un objet social plus étendu que la seule recherche de profits… Mais comment l’entreprise peut-elle concilier des finalités économiques et de rentabilité avec celles, non économiques, d’une action citoyenne ? Sens et performance s’enrichissent-ils l’un l’autre ou bien sont-ils contradictoires ? En d’autres termes, le capitalisme peut-il être responsable ? Face à une crise de défiance sans précédent et devant l’essoufflement du modèle de croissance traditionnel, peu respectueux de la préservation des ressources humaines, naturelles comme financières, la réinvention des modèles d’affaires semble inéluctable.

L’entreprise doit se reconnecter à sa raison d’être

« La question sociale est de retour ! » nous dit Jean-Dominique Senard au démarrage de cette interview par le journaliste du groupe de presse nordiste Jean-Michel Lobry. Tout en défendant le capitalisme, favorisant l’emploi et la création de valeur, il dénonce aussi ses dérives et analyse les raisons du soupçon généralisé face au monde de l’entreprise et les « ruptures de responsabilité » qui parfois en découlent.

« Les entreprises doivent faire des profits pour assurer leur pérennité et créer des emplois. Mais si elles ne pensent qu’à cela, nous allons dans le mur ! L’entreprise doit se reconnecter à sa raison d’être, qui intègre les problématiques sociales et environnementales » poursuit ce grand patron d’entreprise.

Promoteur d’un capitalisme porteur de sens, il appelle notamment un sursaut des décideurs politiques pour promouvoir une ambition européenne au rendez-vous de l’économie du 21ème siècle : « Je suis optimiste sur la place de la France dans l’Europe et dans le monde. L’Europe est culturellement prête pour l’entreprise à mission et ainsi proposer une alternative. C’est un ciment très porteur. Il faut que l’Europe se dote d’un cadre pour ce capitalisme responsable. Dans le même temps, cela passera aussi par la réduction des dépenses de l’Etat car sinon, au prochain retournement économique, ce sera la catastrophe. La mondialisation, nous y sommes confrontés chaque jour. L’Europe est le seul continent dont le marché est totalement ouvert. Chez Michelin, nos principaux concurrents font d’ailleurs des pneumatiques à bas coût dont le prix de vente est inférieur à nos coûts de fabrication en France ! Face à ce constat, fermer les frontières n’est bien entendu pas la solution, il faudrait lutter contre l’obsolescence programmée de façon plus drastique, modifier les normes qui actuellement ne sont fondées que sur les produits neufs, sans considération de leur durabilité. Chez Michelin, nous avons des décennies de savoir-faire qu’il nous faut, comme nombre de fabricants français, valoriser et défendre. »

>>> Retrouvez ici l’interview et la table ronde de cette soirée diffusée dans l’émission On vous en dit + sur la chaîne WEO (57’19 »)

Rapport Notat-Senard sur l’entreprise à mission

Le 9 mars 2018, Jean-Dominique Senard remettait avec Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris un rapport qui connut un très large écho intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » visant notamment à alimenter la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises).

Dans ce rapport, ils proposent notamment de confier aux conseils d’administration la formulation d’une raison d’être qui positionne les finalités sociales et environnementales au cœur de la stratégie de l’entreprise : « la raison d’être exprime ce qui est indispensable pour remplir l’objet de la société, c’est une formule ce qui donne du sens, à l’objet collectif qu’est l’entreprise. » Ainsi, les deux articles du Code Civil définissant ce qu’est une société seraient complétés d’un deuxième alinéa : l’article 1833 élargit l’intérêt commun des associés au fait que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. » L’article 1835 permet d’inscrire leur « raison d’être » dans leur statut pour les entreprises qui veulent devenir entreprises à mission : « L’objet social peut préciser la raison d’être de l’entreprise constituée »

Ces entreprises devront remplit quatre critères :

  1. l’inscription de la raison d’être de l’entreprise dans ses statuts ;
  2. l’existence d’un comité d’impact doté de moyens ;
  3. la mesure par un tiers et la reddition publique par les organes de gouvernance du respect de la raison d’être inscrite dans les statuts ;
  4. la publication d’une déclaration de performance extra-financière.

>>> Télécharger le Rapport Notat-Senard : L’entreprise, objet d’intérêt collectif  

Dans un monde en perte de repères, Jean-Dominique Senard énonce cinq défis à relever pour l’entreprise :

  1. Réconcilier l’entreprise et la société

« L’entreprise ne doit pas seulement être au service de ses actionnaires, elle doit être attentive aux enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Ses actes, ses comportements, y compris ceux de ses dirigeants, ont un impact et un écho qui dépasse largement l’entreprise elle-même. Le champ de responsabilité de l’entreprise aujourd’hui est immense. »

  1. Placer l’humain au centre

« Dans toute transformation, le sens est fondamental, il est primordial de démystifier ce qui peut être perçu comme anxiogène. Si l’on place l’humain au centre des transformations digitales et d’intelligence artificielle, on peut rendre ces transformations compréhensibles et même enthousiasmantes. Pour cela, il faut du temps. Le devoir d’un chef d’entreprise, c’est de s’assurer que tout le monde comprend pourquoi on est en train de bouger, pourquoi on évolue, quel est le sens de ce mouvement et de cette transformation. »

  1. La digitalisation, une nécessité 

« La digitalisation n’est pas une fin en soi, c’est un moyen essentiel de survie. Les entreprises qui ne l’auront pas intégrée sont menacées de disparition. Nous souhaitons créer une relation plus personnalisée, plus intime avec nos clients et consommateurs. »

  1. Associer les salariés 

« Pour nos collaborateurs, si nous voulons qu’ils adoptent le réflexe digital et soient des facilitateurs de la transformation de Michelin, il faut qu’ils en constatent eux-mêmes l’intérêt, dans leur vie quotidienne à travers les gains de productivité, l’accroissement de l’intérêt des tâches, la réduction de la pénibilité… »

  1. Un capitalisme à dimension humaine 

« Aujourd’hui, il faut absolument intégrer le contexte social, ces mouvements qui se manifestent partout dans le monde, ces populations qui cherchent du sens et en même temps, la satisfaction d’un développement personnel. Ces mouvements expriment une angoisse de déclassement face à ce monde bipolaire, entre ceux qui ont le sentiment d’avoir décroché par rapport à la mondialisation et ceux, au contraire, qui en tirent parti… Ces phénomènes sociaux, on ne peut pas les négliger. Si nous ne les regardons pas en face, nous passons à côté d’une réalité essentielle. »

En écho à cette présentation, Bruno Kopczynski, délégué syndical CFDT d’Ascoval, indique « Capitalisme responsable, ce sont des mots qui me parlent et que je défends. C’est parfois ce qui manque, quand une entreprise n’est centrée que sur l’actionnariat. Bien sûr la recherche de profits est nécessaire pour assurer la pérennité de l’entreprise; c’est sa raison d’être, de vivre. Mais il ne faut pas oublier son intégration dans le territoire pour en favoriser le développement et faire en sorte que tout s’y passe bien. Il y a des pratiques qui n’y contribuent pas. Par exemple chez Vallourec-Ascoval, nous produisons des barres d’acier près de Valenciennes, qui sont ensuite emmenées en Allemagne pour être percées, puis reviennent dans le site à côté de chez nous pour être vernies et repartir en Allemagne pour être vendues. C’est une hérésie ! Il faudrait pouvoir traiter les soucis de formation en réunissant tous les acteurs – responsables d’entreprises, syndicats, de l’enseignement et de la formation – pour avoir les compétences nécessaires sur le territoire pour créer de la valeur sur place sans devoir aller chercher une main d’oeuvre qualifiée ailleurs. »

La raison d’être, nouvel axe de différenciation ?

De plus en plus de voix annonce que la raison d’être sera le prochain grand enjeu des entreprises. Il ne suffira plus de délivrer une expérience réussie en termes de produit ou de service et de qualité relationnelle et transactionnelle. Les organisations devront avoir une raison d’être qui soit parlante et significative, tant pour ses collaborateurs que pour ses clients. Les organisations seront de plus en plus évaluées à l’aune de leur impact positif dans leur écosystème.

Dans son article sur Medium « La raison d’être : the ‘next big thing’ », Philippe Pinault soulève des interrogations de fond : « Lorsque la qualité de l’offre ne suffira plus à vous différencier, lorsque la qualité de l’expérience délivrée ne suffira plus à vous différencier, c’est certainement pour cette raison d’être que votre client ou votre collaborateur viendra vous choisir. Quel est votre projet, quelle est votre raison d’être ? Quelle est son intérêt ? Quelle est son empreinte sur le monde ? Contribue-t-elle à faire de notre monde un monde meilleur ? Participe-t-elle à résoudre un des enjeux sociétaux de notre planète ? »

« Les consommateurs n’achètent pas ce que vous faites, ni comment vous le faites : ils achètent la raison pour laquelle vous le faites » souligne Simon Sinek auteur du livre Start With Why.

Plus de finalité sans impact !

Pour une marque, revendiquer un but, c’est une bonne première étape mais pas ce n’est pas la destination à atteindre ! On peut remplir les halls d’entrée des entreprises avec de belles affiches présentant leur mission rédigée tel un slogan publicitaire sans rien changer à ses habitudes dans la conduite des affaires. Pour éviter un purpose-washing où les grandes déclarations d’intention ne se traduisent pas dans les produits et services de l’entreprise, il faut mener des actions qui caractérisent au quotidien sa « finalité haute » pour ses clients et ses collaborateurs.

De son poste d’observation des évolutions de la RSE au sein du cabinet Utopies, Elisabeth Laville a insisté lors de la table ronde sur l’importance de passer d’une position « less bad » à un engagement « more good » pour utiliser la quête de sens comme levier de croissance, en engageant les entreprises à faire de leur impact un marqueur essentiel de leur offre et de l’engagement de leur marque. « La question de fond c’est quelle est la contribution sociale positive spécifique de l’entreprise. C’est d’ailleurs ce qui enthousiasme les collaborateurs et les clients. La raison d’être donne le cap. La mesure des réalisations concrètes permet de démontrer l’évolution de l’impact positif dans le temps. Un autre signe de cette évolution, c’est la décision du premier fonds d’investissement au monde, BlackRock présidé par Larry Finck, – premier actionnaire d’une entreprise sur cinq aux Etats-Unis – qui annonçait dans sa lettre annuelle aux entreprises intitulée « The sense of purpose » qu’il n’investirait plus désormais que dans des entreprises soucieuses d’avoir une contribution positive à la société, c’est-à-dire bien au-delà des critères historiques de l’investissement socialement responsable qui ne visaient qu’à limiter les risques liés à leurs activités. »

La note de position d’Utopies d’avril 2018 « De l’entreprise à mission au ‘purpose’ de la marque » résume très bien les enjeux actuels et les évolutions en cours.

>>> voir aussi mon article précédent sur le mouvement « B Corp » ou le pouvoir de l’entreprise au service du bien commun avec Elisabeth Laville qui détaille sa vision d’une RSE défensive à un véritable changement de modèle.

Permettre à chacun d’être acteur de changement, de là où il est

Pour donner corps à l’entreprise à mission, au capitalisme responsable, il faut pouvoir rompre avec certains schémas et inventer le cadre facilitant la possibilité d’agir, au cœur de la logique compétitive de l’entreprise, lui permettant d’être actrice d’une contribution positive dans la société. Pour être efficaces, ces actions demandent de réunir des acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Des partenariats nouveaux. Au plus près des territoires.

L’exemple que j’ai pu présenter lors de cette soirée autour de la rénovation thermique du logement de ménages en grande précarité illustre la manière dont Réseau Eco Habitat coordonne l’ensemble des acteurs permettant une solution pérenne pour ces habitants dans l’impasse. Cela inclut notamment les équipes des magasins Leroy Merlin sur le territoire picard qui sont fières et engagées dans ce partenariat, enrichissent leur métier et construisent ainsi des perspectives nouvelles pour l’entreprise. C’est ce qu’illustre cette vidéo (3’34 ») présentée aux 350 participants de la soirée Business Leaders : 

>> voir l’article précédent « Réseau Eco Habitat : l’innovation social au service de la rénovation énergétique des plus démunis. »


Business et création de valeur couplés à l’impact social de l’entreprise doivent être réconciliés. Les actions de contributions positives pour la société et l’environnement seront de plus en plus connectées à la démarche d’innovation de l’entreprise et influencera durablement son offre pour des clients qui la choisiront – chaque jour davantage – pour son engagement d’impact positif mesuré. 

 

« Ayez une ambition pour vous-même, pour votre entreprise mais aussi pour la société au sens large. S’il vous manque une de ces trois ambitions, il manquera quelque chose dans votre vie. Et n’oubliez jamais que la seule ambition possible et acceptable est celle de servir. » Jean-Dominique Senard reprenant en conclusion ses propos lors d’une intervention à de jeunes diplômés.

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Face à une innovation technologique déconnectée des réalités sociétales, comment réconcilier business et sagesse pour un impact positif ?

Dans un monde de plus en plus volatil, incertain, complexe et ambigu, ce que les stratèges militaires ont défini sous l’acronyme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity) et qui correspond également au monde de l’entreprise qui adopte ce terme, peu de choses sont sûres. Des changements de paradigme s’opèrent à vitesse grand V, vivre dans le déni d’un monde où « jusqu’ici tout va bien » est synonyme d’échec voire de disparition à court terme pour beaucoup d’organisation. L’innovation, notamment technologique, est donc omniprésente, la fameuse « transformation » est en cours dans toutes les organisations. La perte de repères repose des questions de sens et de finalité. La manière de s’engager concrètement dans la réinvention des modèles existants devient fondamentale. Pourtant, face à une innovation technologique parfois déconnectée des réalités sociétales, comment réconcilier business et sagesse pour un impact positif porteur de sens ? Comment construire une société plus inclusive ?


Une tribune récente de Navi Radjou dans Thinkers 50 intitulée Are You a Smart or Wise Innovator? interroge de manière très pertinente le type d’innovateur que nous voulons être : brillant ou sage et utile ? Navi Radjou y cite notamment quelques exemples d’innovations nées dans la Silicon Valley qui illustrent de manière pathétique que parfois « les meilleurs cerveaux du monde sont occupés à résoudre les problèmes des riches, qui n’ont vraiment pas de problèmes ! » et nous propose une réflexion sur une « innovation sage », au service d’une cause noble.

Silicon Valley : des entrepreneurs ultra connectés mais déconnectés de la réalité et des problèmes qu’ils cherchent à résoudre

La start-up Juicero est devenue la risée de la Silicon Valley avec sa machine à jus de fruits et légumes ‘intelligente et connectée’. Fondée en 2013, l’entreprise qui voulait devenir la Nespresso des jus frais avait pourtant réussi à lever plus de 100 millions d’euros auprès d’investisseurs réputés. Ce pressoir high-tech, d’abord commercialisé 700 dollars pièce avant de baisser à 400 dollars, n’a pas résisté à l’expérience de deux journalistes de Bloomberg qui montrait qu’on pouvait extraire à la main le jus contenu dans les sachets de compote de fruits Juicero, sans la coûteuse machine. En septembre 2017, l’entreprise déclarait faillite et la ‘machine à jus qui ne sert à rien’ devenait le symbole de l’absurdité et de l’inutilité d’une innovation qui lève des fonds importants pour des prétendues solutions à des problèmes qui n’existent pas !

Dans la même veine, fin octobre 2017, c’était au tour de Teforia de fermer ses portes, après avoir levé près de 15 millions d’euros pour un infuseur à thé intelligent connecté au Wifi, Bluetooth et avec lecteur RFID pour adapter au degré près la température d’infusion en fonction de la capsule de thé choisie pour offrir ‘la meilleure expérience de thé au monde’, à 1000 dollars pièce ! « Même les ultra-riches ne devraient pas acheter cette théière super-chère » indiquaient les analystes financiers.

Le médiatique lancement dans l’espace de Falcon Heavy de l’entreprise SpaceX en février 2018 a donné une autre illustration d’une mission, qui, selon les propres dires de son charismatique patron Elon Musk, était « idiote mais amusante » : envoyer une voiture électrique Tesla Roadster à 200.000 dollars en orbite autour de Mars avec, à son bord, le mannequin-cosmonaute baptisé Starman en référence à la chanson de David Bowie. Au-delà du coup de pub planétaire – Tesla appartient également à Musk – et du fait que la décapotable rouge vogue désormais en orbite lointaine de Mars dans un voyage dans le vide qui durera des milliers d’années tout en se désintégrant lentement, l’utilité réelle d’un tel projet se pose. L’entrepreneur quarantenaire d’origine sud-africaine l’assume d’ailleurs : « J’aime la pensée d’une voiture dérivant apparemment sans fin à travers l’espace et qui sera peut-être découverte par des extraterrestres dans des millions d’années. C’est juste une voiture normale dans l’espace, et j’aime l’absurdité de cela. »

Autre quadra spécialiste de l’innovation, Navi Radjou, franco-indien ayant grandi à Pondichéry, étudié en France (CNAM et Centrale Paris) et vivant désormais aux Etats-Unis, questionne l’utilité d’une innovation déconnectée des gens : « En tant que résident de la Silicon Valley, je ne peux pas m’empêcher de hocher la tête en signe d’incrédulité. Juicero et Teforia illustrent tout ce qui ne va pas avec la Silicon Valley : une bande d’entrepreneurs super intelligents déconnectés de la réalité qui crament des milliards de dollars en Recherche & Développement pour inventer des gadgets ‘intelligents’ dont personne n’a besoin ou dans le meilleur des cas pour servir une petite élite—alors que dans le même temps, 70% des gens dans le monde vivent avec moins de 10 dollars par jour. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement des pauvres du soi-disant tiers-monde qui ont besoin d’aide. Aux États-Unis, le pays le plus riche de la planète, 63% des Américains n’ont pas assez d’économies pour faire face à une urgence ou un imprévu de 500 dollars. 

Dans un billet de blog très intéressant, Umair Haque, directeur de Havas Media Labs et un des grands penseurs en management pour construire une économie plus humaine, questionne la sagesse du plan de colonisation de Mars de Musk en s’interrogeant : « A quoi sert-il de lancer des voitures dans l’espace quand l’espérance de vie est en chute libre aux Etats-Unis et que l’américain moyen n’a pas de retraite, pas d’accès à des soins décents, pas de stabilité ni ne se sent en sécurité ? »

L’innovation frugale ou comment faire mieux avec moins, maître mot du 21ème siècle ?

Co-auteur avec Jaideep Prabhu du bestseller « L’innovation Jugaad : redevenons ingénieux ! » paru en 2013, Navi Radjou y démontre comment les entreprises peuvent puiser dans l’ingéniosité et le système D pour repenser leur modèle d’organisation et comment il est possible de co-créer des solutions simples et efficaces qui produisent de meilleurs produits et services à moindre coût.

« Nous entrons dans un monde de pénurie. Les ressources naturelles – le pétrole, l’eau, le bois, les terres cultivables – se raréfient, il faut cesser de croire qu’elles sont infinies. Dans les pays développés, les revenus des classes moyennes stagnent, leur pouvoir d’achat diminue. Les gouvernements eux-mêmes réduisent leurs dépenses. Vivre avec moins ne représente pas pour autant un sacrifice, cela peut être source d’innovation et même d’une meilleure qualité de vie. Faire plus avec moins, créer plus de valeur économique et sociale tout en minimisant l’utilisation de ces ressources qui se tarissent, qu’elles naturelles ou financières. C’est ce que le mot hindi “jugaad” traduit. C’est la résilience créative, l’esprit de débrouillardise, qui permet de transmuter l’adversité en opportunité et concevoir une solution frugale à tout problème, avec peu de moyens. »

> Pour aller plus loin, voir sa conférence au TEDGlobal 2014 : « Une résolution de problèmes créative face à des limites extrêmes, Navi Radjou »

J’ai rencontré Navi la première fois dans le cadre de la préparation de son second livre « L’innovation frugale : comment faire mieux avec moins » publié en 2015 qui traite du jugaad 2.0 et du mouvement des makers et l’émergence d’une innovation collective au sein d’une communauté qui s’appuient notamment sur les technologies digitales.

En octobre 2015, nous avons eu l’occasion d’intervenir ensemble lors du World Dream Forum organisé par la plateforme d’innovation ouverte Ideas Laboratory, au sein du premier centre public de recherche technologique mondial du CEA à Grenoble (Classement REUTERS, 2016). Il y exposait déjà l’importance pour les entreprises d’intégrer cette contradiction manifeste entre l’augmentation d’une demande insatiable de produits toujours de meilleure qualité alors que les ressources nécessaires pour les produire resteront limitées. « Les entreprises qui prennent acte de ce nouvel ordre des choses sont parties pour durer. Celles qui persistent à vivre dans le déni périront certainement. Lorsque les ressources extérieures sont rares, il faut chercher à l’intérieur de soi pour exploiter la ressource la plus abondante, l’ingéniosité humaine et l’utiliser pour résoudre des problèmes intelligemment avec des moyens limités. L’innovation doit créer des solutions qui apportent de la vraie valeur à de vrais besoins humains.»

Lors de ce Forum où Jeremy Rifkin – apôtre de la Troisième Révolution Industrielle et du Coût Marginal Zéro – intervenait également en visio-conférence depuis les Etats-Unis, Navi Radjou allait même encore plus loin en prédisant que les véritables innovateurs créeront des solutions à ce qu’il appelle les « problèmes sans frontières » qui affectent toute l’humanité : inégalité sociale, changement climatique, maladies chroniques, pénurie d’eau et sécurité alimentaire. Cette recherche de solutions passera de plus en plus par la mise en réseau, le travail en communauté dont le mouvement des makers est une expression de plus en plus visible. Face aux grandes thématiques de société d’un monde fracturé, la collaboration entre acteurs qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble sera essentielle pour co-créer et co-innover des solutions inédites pour le plus grand nombre.

Objectifs du Développement Durable : vers un nouvel état d’esprit en matière d’innovation ?

Les Objectifs de développement durable (ODD) ont vu le jour lors de la Conférence de Rio sur le développement durable en 2012. Cet ensemble d’objectifs universels a été élaboré en vue de relever les défis urgents auxquels notre monde est confronté sur le plan écologique, politique et économique. Pour leur mise en œuvre, la participation de tous est requise « afin de bâtir un monde plus durable, sûr et prospère, pour l’humanité toute entière » en couvrant des problématiques qui nous concernent tous : la lutte contre le changement climatique, la réalisation de l’égalité des sexes, l’élimination de la pauvreté et de la faim, accès universel à l’eau potable, à l’énergie, et à des soins de santé abordables. De plus en plus d’entreprises utilisent d’ailleurs cette grille de lecture pour caractériser leur engagement RSE.

Même si l’ONU souhaite l’atteinte de ces ODD d’ici 2030, cela ne sera possible que si un changement de paradigme intervient dans les manières de construire des sociétés plus inclusives, saines et prospères. Navi Radjou parle du besoin d’un nouvel état d’esprit en matière d’innovation : « Je ne crois plus que les entrepreneurs intelligents de la Silicon Valley vont sauver la Terre. Pourquoi le feraient-ils quand ils sont bien davantage intéressés à coloniser Mars ? Si nous voulons construire un monde inclusif, sûr, sain et durable, nous avons besoin d’une nouvelle génération d’innovateurs. Plus précisément, nous avons besoin d’un nouvel état d’esprit en matière d’innovation. Einstein l’a bien dit : « On ne peut résoudre un problème en utilisant le même mode de pensée qui l’a engendré. » Nous avons besoin de résolveurs de problèmes créatifs qui pensent, ressentent et agissent très différemment. Ce dont nous avons besoin, ce sont des innovateurs sages.

Les innovateurs sages appliquent l’intelligence pour servir une cause noble

Dans son livre co-écrit avec Prasad Kaipa, Donner du sens à l’intelligence. Comment les leaders éclairés réconcilient business et sagesse paru en 2016 la sagesse est définie comme « l’application de l’intelligence pour servir une cause noble. » Ainsi les ‘innovateurs sages’ utilisent leur intelligence non pas pour s’enrichir eux-mêmes, comme le font de nombreux entrepreneurs de la Silicon Valley, mais pour élever l’humanité.

Ils définissent trois grandes caractéristiques du mode de leadership de ces innovateurs sages :

  1. Ils dirigent avec un esprit d’entreprise, un cœur social et une âme écologique

Les innovateurs sages ne vivent pas cloisonnés dans leur tête. Ils sont en accord avec leur cœur – le siège de la compassion et de la générosité – et se sentent profondément liés à la Nature, plutôt que d’en être séparés. Ils vont bien au-delà de la pleine conscience (‘mindfulness’ en anglais), ils pratiquent la ‘wholefulness’ que l’on peut traduire par plénitude, unité ou entièreté et dirigent ainsi avec tout leur être.

[Dans un article précédent, Frédéric Laloux indiquait que le wholefulness était l’une des trois percées fondamentales des organisations qui avaient basculé dans un nouveau paradigme managérial de communautés de travail inspirées.]

  1. Ils construisent des plates-formes qui amplifient le talent des autres

Plutôt que d’étaler et mettre en valeur leur propre intelligence, les innovateurs sages sont ce que Liz Wiseman, expert en leadership, appelle les « multiplicateurs » : ils amplifient l’intelligence des autres et aident à réaliser leur plein potentiel.  

  1. Ils co-créent de la valeur avec un écosystème de partenaires.

Les innovateurs sages ne considèrent pas leurs interactions avec les autres comme un jeu à somme nulle régi par la formule compétitive 1 + 1 = 0. Au lieu de cela, ils croient fermement à la formule synergique de 1 + 1 = 11. Avec beaucoup d’humilité et un esprit ouvert, ils s’engagent avec des partenaires dans les secteurs public et à but non lucratif pour co-construire des solutions gagnant-gagnant qui servent un objectif plus large. 

Navi Radjou cite ainsi dans cet article les exemples inspirants de quelques innovateurs sages qui ont osé aller à contrecourant pour construire des réponses nouvelles qui combinent impact positif sur la société et l’environnement, viabilité économique et accès au plus grand nombre : Eileen Fisher pionnière de la slow fashion en introduisant des vêtements moins nombreux mais plus durables, Eben Upton, inventeur du Raspberry Pi, un microprocesseur en open-source très bon marché qui a permis des applications dans le domaine de la santé ou de l’éducation ou encore Emmanuel Faber, PDG de Danone, engagé de longue date dans le double projet économique et social de l’entreprise.

[Pour aller plus loin, voir les articles précédents : L’absence d’être, voilà ce dont meurt notre économie, entretien avec Emmanuel Faber ainsi que celui consacré aux projets de Social Business soutenus par danone.communities]

L’intervention d’Emmanuel Faber lors de la cérémonie de remise des diplômes aux étudiants d’HEC en juin 2016 a eu un écho important et des millions de vues sur les réseaux sociaux. Il est en effet intéressant, et inspirant !, d’entendre un dirigeant d’entreprise parler de justice sociale et climatique comme fondement de nos économies et de nos sociétés. Il interpelle cette génération de futurs dirigeants à devenir acteurs pour améliorer les choses tout en se préservant de trois grands dangers :

  • le pouvoir « qui n’a de sens que dans un esprit de service »
  • la gloire « une course sans fin qui ne mène nulle part »
  • l’argent « pour ne pas en devenir l’esclave et rester libre. »

Une des recettes qu’il leur propose est de toujours rester attentifs « à cette petite voix intérieure, à ceux qui apportent cette voix, cette musique intérieure, la mélodie qui vous appartient, qui vous est unique. Et qui changera la symphonie du monde qui vous entoure. Le monde en a besoin. »

La voie proposée par Emmanuel Faber rejoint le mouvement des ‘entreprises à mission’, de l’entreprise contributive, de son objet social étendu ou du mouvement B Corp. Si la sagesse est de mettre ses talents et son intelligence au service d’une cause noble, plus que jamais, les entreprises doivent orienter leur pérennité et leur logique de création de valeur vers une nouvelle utilité, à soi, aux autres et au monde, dans une logique de plateforme participative. L’esprit « jugaad » n’est pas seulement une frugalité dans les moyens mais une inflexion des finalités vers plus d’utilité et d’accessibilité.

Chris Anderson, éditeur britannique qui a repris en 2001 la gestion des Conférences TED synthétise bien l’enjeu majeur de l’émergence pour le plus grand nombre de solutions aux problématiques de société qui apparaissent pourtant comme insurmontables : « Nous nous représentons aisément un monde qui se noie dans des problèmes insolubles. La situation est bien pire ! Le monde se noie dans des problèmes solubles. C’est juste que les solutions sont en grande partie invisibles et ignorées. »

Dans une interview dans la revue L’ADN, Navi Radjou souligne les vertus de la sagesse pour l’entreprise : « La grande force de la sagesse pratique réside dans sa capacité à accommoder différentes polarités, par exemple profitabilité et durabilité. Ces notions étaient souvent défendues par deux camps idéologiques opposés. La sagesse tend à résoudre ces tensions en posant la question un peu différemment : quelle est ma raison d’être ? Si nous utilisons la métaphore du monde biologique, une entreprise est comme greffée à une société : si elle n’est pas acceptée par celle-ci, elle sera rejetée et périra… Il est donc dans son intérêt vital de contribuer au bon développement de la société, et de ne pas considérer cela comme un acte de charité, mais comme un élément essentiel de son business model. »

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Oser aller à contre-courant pour contribuer au bien commun : quand l’entrepreneuriat et la finance visent un fort impact social, avec François Marty et Vincent Fauvet

Conjuguer impact social et pérennité économique ne semble pas aller de soi. Pourtant de plus en plus de projets cherchent à concilier les deux. Des entrepreneurs sociaux montent des entreprises dont le modèle économique leur assure pérennité et impact durable. Souvent, ces entrepreneurs ont « tout fait à l’envers. » Leur capacité d’inventer de nouvelles manières de faire au service d’une finalité sociale première est aujourd’hui une source d’inspiration pour toute entreprise « classique » confrontée aux défis de réinventer ses métiers et de donner du sens à sa mission et ses collaborateurs.

Le financement pour accompagner le développement de ces entreprises « autrement » est aussi amené à évoluer : on parle aujourd’hui d’impact investing – investissement d’impact – pour ces fonds qui cherchent à replacer l’humain au cœur de la croissance de l’entreprise, 100% dédiés à l’accompagnement de la croissance de projets à fort impact social et environnemental.

Dans la lignée des deux précédentes conférences, « Les Entreprises humanistes, plus fortes non par calcul mais par choix » en novembre 2016 ou « Mouvement ‘B-Corp’, le pouvoir de l’entreprise au service du bien commun » en avril 2017, la dixième soirée Vivre l’économie autrement le 19 octobre 2017 a permis un nouvel éclairage sur ces projets qui visent à concilier développement économique et atteinte d’un impact social majeur avec le témoignage de deux entrepreneurs engagés : François Marty du groupe d’insertion Chênelet et Vincent Fauvet du fonds d’investissement et d’accompagnement Investir&+.

François Marty, un parcours atypique et varié pour « faire ce qu’il y a à faire »

Pionnier de l’entrepreneuriat social, il fait bouger les lignes depuis plus de trente ans, notamment dans le domaine de l’insertion de personnes éloignées de l’emploi avec le groupe Chênelet. Personnalité attachante, vêtu de sa traditionnelle vareuse – elle était verte ce soir-là ! – François commence par témoigner de son itinéraire personnel : « Mon parcours est celui d’un gamin en difficulté de la région parisienne. A l’époque, les entreprises d’insertion n’existaient pas. A l’âge de 17 ans, et pendant quatre ans, ce sont les moines de Tamié en Savoie qui ont remplacé mes parents. Chez eux, j’ai appris le travail, qui est une solution, pas une condamnation J’y ai appris à étudier. J’ai aussi appris l’écologie, qui à l’époque s’appelait encore la nature. J’y ai réalisé mon rêve, celui de devenir chauffeur routier. Pour moi, un métier idéal, on voit du paysage et on mange tous les jours au restau…

Ensuite est venu un parcours un peu inconscient de créer une entreprise pour des jeunes qui n’avaient pas de travail à Calais et pour les premiers migrants. Ça a marqué le départ de différentes activités car à chaque fois qu’on voyait un problème, on essayait d’inventer une solution. En fait, on est comme un groupe de fous furieux qui a eu envie de prendre la vie au sérieux, de façon très légère, en faisant ce qui devait être fait plutôt qu’en se posant des questions. C’est ce qui a fait que des gens au parcours professionnel très riche nous ont rejoints en divisant leur salaire par 5 ou par 10, pour faire quelque chose d’utile. »

Pour passer d’un projet utile socialement à une entreprise capable de se développer dans la durée, François aime rappeler certaines interpellations salutaires, notamment de la part de représentants de la famille Mulliez venus lui rendre visite : « Si tu veux devenir entrepreneur, il faut te former pour cela. Ça ne s’improvise pas avec la seule bonne volonté. Ton projet le mérite. » C’est ainsi qu’il suivra un Executive MBA à HEC en suivant le CPA dont les portes lui seront ouvertes par un dirigeant visionnaire qui était d’ailleurs dans la salle ce soir-là. « Cette formation m’a permis de passer de bac – 15 à bac + 7. J’y ai surtout trouvé une super boîte à outils pour notre développement. »

Chênelet : un groupe, une marque, au service de l’insertion durable

Les photos des différents projets de l’aventure entrepreneuriale Chênelet défilent pendant que François Marty partage avec conviction et de nombreux traits d’humour ses combats et ses coups de gueule : « Face aux enjeux de société, il faut quitter le défensif pour l’offensif. Trop de pionniers sont morts, se sont habitués au système, ou bien sont fatigués. On va beaucoup nous pardonner car on a beaucoup osé. Ceux qui croient que la violence ne sert à rien, c’est qu’ils n’ont pas tapé assez fort. Il faut faire la guerre à la misère avec les habits de la paix. »

Le groupe Chênelet regroupe des Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) et des Entreprises d’Insertion (EI) dans quatre filières aux expertises reconnues :

  • agroalimentaire : avec la conservation de produits bio: soupes, jus, confitures, notamment pour des maraîchers et arboriculteurs locaux et l’hôtellerie-restauration avec l’accueil de séminaires d’entreprise et des gîtes ruraux ;
  • la filière bois: exploitation forestière, scierie et production de palettes bois hors standard pour lesquelles Le Chênelet est leader français pour l’industrie papetière ;
  • la construction et la rénovation de logements sociaux, sains, confortables et à charges maîtrisées ;
  • les métiers supports de l’entreprise : administration, transport et logistique, maintenance et hygiène des locaux.

Depuis 30 ans, plus de 6.000 personnes ont ainsi été réinsérées dans ces différents projets. Le groupe compte actuellement 300 salariés, dont 250 personnes en contrat d’insertion, pour une durée maximale de 24 mois. Les personnes en contrat Chênelet bénéficient de 400 heures de formation reconnues par l’obtention d’un Certificat de Qualification Professionnelle (CQP salarié polyvalent et/ou CQPI conducteur d’équipements industriels), diplômes reconnus nationalement. « Etant moi-même un ancien cancre, je savais qu’il fallait une pédagogie adaptée pour notre centre de formation et la création du CQP : on fait travailler les gens et une fois qu’ils ont travaillé, on leur apprend ce qu’ils savent déjà ! Le cœur de notre dispositif est l’entreprise apprenante. Nos activités de production sont organisées autour de situations permettant de développer des apprentissages comportementaux et techniques pour les salariés. »

Remise des diplômes CQP suite à la formation animée en partenariat avec le Réseau « Chantier Ecole »

Un passage en cabinet ministériel

En 2000, le gouvernement Jospin décide pour la première fois de la création d’un Secrétariat d’Etat à l’Economie Sociale et Solidaire et y nomme le député écologiste du Nord Guy Hascoët. François Marty, qui le connaissait, est alors devenu pendant deux ans conseiller et chef de cabinet ministériel « fonction pour laquelle la seule qualité requise est d’avoir un copain nommé ministre » souligne-t-il avec humour.  A la question de la différence entre l’économie sociale et l’économie solidaire qui ont donné lieu au portefeuille ministériel, François indique à son ministre : « Le social c’est la noblesse d’une société qui corrige, c’est ce que l’on fait pour les personnes âgées, la petite enfance, le handicap… Le solidaire, c’est de ‘faire avec’. On ne tire pas la couverture à soi, on est content des succès que l’on a ensemble, triste des échecs que l’on a ensemble. Cet ‘ensemble’ est vraiment précieux. Dans la solidarité, il y a une vraie fraternité. »

Le chauffeur routier sous les ors de la République a fortement contribué au développement du secteur, avec notamment la loi sur l’épargne solidaire permettant de canaliser l’épargne salariale vers le financement de projets à impact social.

Des maisons écolo basse conso pour le logement très social

Deux ans après, lorsqu’il revient au Chênelet, il constate que le projet a très bien fonctionné sans lui. Belle leçon de management ! Il s’agit donc pour lui d’imaginer un nouveau projet sans interférer avec les nouveaux responsables en place. Il reprend donc la route, en camion. C’est à ce moment-là que son chemin croise celui d’Ashoka, premier réseau mondial d’entrepreneurs sociaux fondé par Bill Drayton en 1980 > Voir ici un article de présentation du mouvement Ashoka qui vise à ce que chacun puisse être acteur de changement, convaincu que « Il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une idée nouvelle lorsqu’elle est dans les mains d’un véritable entrepreneur. » Devenu fellow Ashoka, c’est l’accompagnement du réseau qui a alors permis à François Marty de réaliser un « rêve fou » – ou en tout cas considéré comme tel par beaucoup ! : « Je voulais construire du logement social très qualitatif pour les gens qui n’ont pas d’argent puisque ce sont eux qui ont besoin d’un logement écologique pour ne pas payer de charges. Ashoka m’a aidé à ce que mon rêve ne soit pas un simple souhait mais se transforme en business model.»

Depuis dix ans, le groupe a ainsi étendu son action à la construction de logements écologiques basse consommation. La Foncière Chênelet est alors créée. Bailleur social reconnu, elle propose des logements « conçus pour durer », sains et économes pour les personnes qui les habitent :

  • A base d’écomatériaux et d’approvisionnement local, ces logements – conçus pour et avec des habitants – sont sains: hygrométrie régulée, température stable, bonne isolation phonique, peintures et sols sans émission de COV, chambre 1m2 plus grande que la norme.
  • Très bien isolés, ventilés et chauffés, ces logements sont basse consommation: moins de 10€/m2.an d’énergie et de fluides, ce qui évite de nombreux impayés.
  • Ces habitations sont réservées aux ménages les plus démunis (entre 0,8 et 1 SMIC) qui bénéficient les loyers les plus bas du logement social (dispositif PLAI – Prêt Locatif Aidé d’Intégration).

Cette vidéo est à destination des futurs habitants des logements Chênelet, pour leur expliquer de manière didactique et ludique, comment bien y vivre tout en y dépensant peu :

Un projet « fait à l’envers » au business model innovant !

L’optique du Chênelet n’est pas centrée sur la baisse des coûts de fabrication du logement social. La foncière vise à rendre « attirant » le logement social pour les collectivités territoriales dans les communes où il s’établit avec un bâti de grande qualité, motif de fierté pour tout le voisinage.

François Marty indique : « On a pris les choses à l’envers. Quand on résonne logement social, c’est pour les pauvres, donc il faut construire pas cher, et après on est sûr qu’ils auront énormément de charges à payer, des dettes, etc. Notre idée était de faire de l’écologie pour les plus pauvres. En gros, une maison plus chère au départ, pour des gens qui vont avoir un loyer extrêmement modéré et qui ne paieront presque pas de charges. C’est un nouveau business model. Pensé sur le long terme. A partir du besoin des personnes. Et qui paradoxalement favorise l’acceptation par les communes de ce type de logements. N’oublions pas que sur 60 ans, le coût de construction ne représente que 17% du coût du logement social et 83% pour les charges !

La génération d’emplois et la qualification des travailleurs en insertion restaient un élément central de notre projet. Ce sont des logements pointus au niveau technique, qui vont au-delà des réglementations existantes. On a donc dû demander à nos ingénieurs de prendre aussi les choses à l’envers pour que des personnes sans qualification puissent construire une partie de ces logements dans notre Société de Construction Écologique. Pour chaque mètre carré de maison Chênelet construit, on comptabilise 9 heures d’insertion et 5 heures de formation. Par ailleurs, 70% de la construction est au bénéfice de l’emploi local (moins de 50 km du chantier) avec un réseau d’artisans sur place.» 

Une cinquantaine de maisons se construisent tous les ans avec une présence comme bailleur social dans six régions de France. En complément des investissements déjà réalisés par Investir &+, les fonds d’investissement Schneider Electric, Rassembleurs d’énergie – Engie, PhiTrust, Mandarine Gestion et d’autres, quinze millions d’euros supplémentaires doivent être levés dans l’année qui vient pour faire face à la demande.

Une autre orientation va prendre de l’ampleur : la rénovation thermique de grandes maisons dont plus personne ne peut assurer la réhabilitation dans le centre de communes semi-rurales en les adaptant à un accès pour personnes à mobilité réduite : cela permet le maintien sur le territoire de personnes âgées ne pouvant plus rester dans leur logement actuel mal adapté sans devoir entrer dans un établissement spécialisé, plus lointain et dans lequel les places seront plus que jamais comptées. Cela demande de dépasser les contraintes de procédures, de financements trop spécifiques et plafonnés et de créer une communauté d’acteurs désirant trouver une solution nouvelle à un problème de société croissant. 

Paraphrasant le poète sévillan Antonio Marchado ou Gregoire de Nysse, François illustre ainsi par l’une de ses formules fétiches la stratégie du groupe Chênelet « Le chemin n’existe pas, c’est en marchant qu’on le crée. » C’est sûrement ce qui permet aux équipes du Chênelet de réinventer des métiers, d’innover et de trouver des solutions toujours nouvelles et durables, « pour au-delà de la justice, trouver la justesse. »


Vincent Fauvert, la réunification d’un double parcours, professionnel et humanitaire

Il est aujourd’hui président exécutif d’Investir &+, fonds d’investissement et d’accompagnement d’entrepreneurs sociaux qui a notamment investit dans la Foncière Chênelet et dans une douzaine d’entreprises sociales.

Après ses études à HEC Paris et l’Université Paris Dauphine, Vincent démarre sa carrière dans l’humanitaire, dans les camps de réfugiés au Cambodge et en Inde. Parti pour l’association Agir pour le Cambodge, il en deviendra Président. En 2001,

l’association innove en créant Sala Baï, la première école d’hôtellerie restauration pour des jeunes cambodgiens à côté des temples d’Angkor. Le boom touristique et hôtelier de cette destination très prisée obligeait en effet à aller chercher du personnel formé dans les pays voisins, sans que les habitants de la région ne puissent en profiter. [Sala Baï vient de faire l’objet d’un très bon reportage dans l’émission Sept à Huit sur TF1, > voir ici]

Son engagement professionnel se poursuit dans la banque d’investissement de BNP Paribas. D’abord en France, au Chili puis au Brésil. « J’appliquais mes compétences dans le financement de projets pour la banque. Mais j’avais besoin de garder en parallèle des engagements associatifs pour me sentir acteur de projets qui avaient un impact dans la vie des gens. Dans des pays où les inégalités sont très marquées, des projets m’ont donné envie d’agir et m’ont inspirés. Avec un ami, Jérôme Schatzman, nous avons créé une entreprise de textile équitable, Tudo Bom favorisant le savoir-faire textile des femmes brésiliennes et le développement d’une filière de coton bio dans le pays. »

En 2004, Vincent rentre en Europe pour diriger la filiale anglaise puis l’ensemble du groupe de distribution spécialisée Saint-Maclou. « Certaines filiales perdaient beaucoup d’argent, de nombreux défis étaient à relever pour assurer la pérennité de l’entreprise et mobiliser les collaborateurs autour d’une vision partagée. Cette responsabilité demandait un engagement total. Et tout comme François, je suis le père de cinq enfants, il m’a donc fallut prioriser et j’ai dû mettre en veille mes engagements associatifs. Après sept années à la tête de l’entreprise, il me fallait passer à une autre étape et trouver de nouveaux équilibres.»

Investir &+, pour le succès des entrepreneurs sociaux

« La création d’Investir &+ correspondait pour moi à une volonté de réconciliation du business et du social au sein d’une activité professionnelle, non plus comme deux activités séparées mais en utilisant le business pour maximiser l’impact social.

La vente de la marque Tudo Bom nous a permis de récupérer la structure de l’entreprise Fair Planet pour lancer une structure d’impact investing. Parallèlement, des membres de l’Ashoka Support Network avaient créé « Investir &+ » afin de pouvoir prendre des participations chez les entrepreneurs sociaux qu’ils accompagnaient. La proximité de nos deux projets nous a amenés à fusionner nos activités, en gardant le nom d’Investir & +.

Investir &+ est une SAS à capital variable depuis 2012 pour accompagner financièrement et humainement des entrepreneurs dans leur projet à impact social et environnemental. Dès l’origine, au moment de la levée de fonds, j’étais convaincu de l’importance du double engagement : apport en capital et apport en accompagnement entre pairs du dirigeant : des entrepreneurs pour faire réussir des entrepreneurs sociaux. Les 35 investisseurs dans Investir &+ sont donc également les accompagnateurs des projets dans lesquels nous nous engageons, ils investissent de l’argent et du temps. »

La mission d’Investir &+ est de contribuer au changement d’échelle de l’entrepreneuriat social. Une étape essentielle consiste en l’identification et la sélection des entrepreneurs sociaux. Vincent présente les quatre critères principaux guidant ce processus : 1/ l’intention première de l’entrepreneur doit être la maximisation de l’impact social et environnemental ; 2/ il doit avoir la capacité à s’entourer de personnes de qualité et à atteindre les objectifs de son business plan ; 3/ il doit avoir la capacité de devenir leader dans son secteur, de le transformer sensiblement et de constituer un exemple inspirant ; 4/ il doit avoir un management cohérent et sensible à l’accompagnement.

Des ressources longues qui privilégient l’impact

« Progressivement, nous avons défini la typologie des projets à accompagner. Il nous a semblé que choisir de ne financer que le changement d’échelle, c’est être dans la lumière sans chercher les projets de l’ombre ! On se situe au niveau du « décollage », entre  l’amorçage et le changement d’échelle d’un projet. Il doit idéalement avoir entre 12 et 18 mois d’existence ; générer du chiffre d’affaires et la preuve de son concept (le fameux PoC, Proof of Concept) doit être apportée. Les projets doivent aussi être à la mesure des enjeux qu’ils cherchent à adresser : le potentiel de transformation, de croissance et de propagation doit être important. Enfin, la personnalité de l’entrepreneur est essentielle. »

Investir &+ met à disposition des entreprises sociales des « ressources longues » leur permettant de financer leur développement, leur changement d’échelle et de maximiser leur impact social. A ses propres investisseurs, Investir&+ promet un double retour sur investissement : un retour sur investissement d’abord social : avec détermination des critères quantitatifs et qualitatifs d’impact. Et également un retour sur investissement financier avec une attente de rémunération de 2,5% par an et une liquidité des fonds à moyen terme : sortie par tiers sur trois ans après un minimum de cinq ans. De plus, l’accompagnement des participations, le partage d’expériences, les apports en expertise et en mise en relation et la montée en compétences des équipes constituent l’implication humaine demandée aux investisseurs et indispensable à la réussite des projets.

« Notre ticket d’investissement se situe entre 300 et 500.000 €, avec possibilité d’un deuxième investissement. Nous sommes minoritaires en tant qu’actionnaires mais voulons être référents dans le tour de table pour que l’accompagnement de proximité que nous proposons soit légitime et valorisé. Avec l’expérience, il me semble que les entrepreneurs sociaux doivent bien choisir leurs investisseurs. C’est fondamental car les critères d’arbitrage entre l’impact social et la rentabilité viennent très rapidement. Attention à la survente du Business Plan pour attirer des investisseurs classiques ! Les actionnaires sont très importants lors de difficultés dans l’entreprise, d’où l’importance d’une bonne entente et d’une relation authentique, où bienveillance et exigence vont de pair » précise Vincent.

Les exemples inspirants accompagnés et financés par Investir &+

Derrière les choix d’investissement du fonds se trouvent des projets novateurs et inspirants. Vincent Fauvet passe en revue certains exemples, au-delà de la foncière Chênelet présidée par François Marty. Nous en reprenons ici quelques-uns, toutes les entreprises accompagnées par Investir &+ sont présentées sur leur site.

SparkNews, fondé par Christian de Boisredon, que nous avions reçu en octobre 2013 pour une soirée Vivre l’économie autrement, créé un journalisme d’impact qui diffuse les solutions aux problèmes sociaux partout dans le monde. 80 médias et 150 millions de lecteurs sont ainsi touchés par l’Impact Journalism Day et la diffusion de ces innovations.

RecycLivre : fondée par David Lorrain en 2008, l’entreprise RecycLivre propose à des particuliers, entreprises ou collectivités la récupération de livres d’occasion et leur donne une seconde vie en les revendant sur des places de marché sur Internet en employant des personnes en insertion pour la gestion du stock et l’expédition. « Le projet a un triple impact : écologique par la remise en circulation de livres destinés au rebut, la lutte contre l’exclusion par l’emploi de personnes éloignées de l’emploi et enfin la lutte contre l’illettrisme par le versement de 10% de ses revenus à des associations, en France et à l’étranger. C’est ainsi plus de 800.000€ qui ont été versés à ce jour [montant actualisé en permanence sur leur site] » précise Vincent. Dans une interview sur le site d’Investir &+, David Lorrain partage son parcours et sa vision de l’innovation : « L’innovation ce n’est pas quelque chose qui n’a jamais été fait avant, c’est une mise en œuvre de plein de briques déjà existantes. » L’inspiration, les analogies avec d’autres business, penser autrement, c’est aussi ce que propose Investir &+ entre les différentes entreprises qu’il accompagne.

HelloAsso est une plateforme de financement participatif qui collecte de fonds sur Internet pour des associations. Pour accompagner le développement du monde associatif, en plus des campagnes de crowdfunding, HelloAsso met à disposition des outils facilitant leur travail : gestion d’adhésion en ligne, vente de billets, recueil de dons,… Depuis sa création en 2013 par Ismaël Le Mouël et Léa Thomassin, les 32 000 associations présentes sur HelloAsso.com ont collecté plus de 50 millions d’euros, intégralement reversés aux associations sans la commission pratiquée par les autres plateformes, HelloAsso compte pour se financer sur les ‘pourboires solidaires’ des donateurs.

Deuxiemeavis.fr  est un service médical en ligne qui permet en cas de problèmes de santé graves d’obtenir un deuxième avis médical auprès d’un médecin spécialiste de la pathologie en moins de 7 jours sous forme d’un compte rendu écrit. L’histoire personnelle des trois co-fondatrices, Pauline d’Orgeval, Catherine Franc et Prune Nercy, qui ont eu besoin d’un deuxième avis face à la maladie est à l’origine du projet lancé fin 2015. « La finalité du service est de réduire l’inégalité d’accès à l’expertise médicale pour mettre toutes les chances de leur côté, notamment pour des patients résidant dans des zones enclavées, ayant des problèmes de mobilité ou tout simplement ne sachant pas comment s’y prendre. Le deuxième avis permet de rassurer le patient sur sa prise en charge, mais également de choisir les traitements les plus adaptés, tout en garantissant un avis par un spécialiste reconnu, ce qui n’est pas toujours le cas des sites internet traitant des problèmes de santé. Près de 100 médecins experts font partie du réseau à ce jour et 300 pathologies ont été traitées. » De plus en plus de complémentaires santé couvrent les frais de ce service qui s’élèvent à 295€. La sécurité des données médicales à caractère personnel est au cœur des préoccupations de la jeune entreprise pour répondre aux exigences légales et éthiques de leur hébergement, autorisé par la CNIL. Un Conseil Scientifique de haut vol présidé par le Pr Laurent Degos crédibilise le sérieux du service auprès des patients et du monde médical.

Acces, Inclusive Tech est une entreprise d’insertion du Groupe Ares dédiée aux métiers du numérique créée en partenariat avec la Fondation Accenture. « La technologie est souvent un obstacle à l’emploi pour les personnes défavorisées. Par l’emploi et la formation, elle devient le facteur d’inclusion vers le monde du travail. Access propose des prestations de test informatique et d’externalisation de fonctions support à ses clients. Comme pour tout contrat d’insertion, d’une durée maximale de deux ans, les collaborateurs d’Acces exercent leur emploi salarié et dispose d’un accompagnement social pour les préparer au mieux à une sortie vers un emploi durable ou une nouvelle formation à l’issue de leur contrat. Le numérique a l’avantage de présenter des débouchés valorisants, sur des métiers en tension, vrais tremplins vers l’emploi après avoir retrouvé une assise professionnelle. »

Cette entreprise bénéficie de toute la compétence du groupe ARES dans l’insertion et de l’excellence d’Accenture pour les processus métier, la technologie et les opérations. Vincent Fauvet souligne que l’alliance de compétences entre des entreprises privées pointues dans leur domaine et des acteurs de terrain, entrepreneurs sociaux ou associations, ouvre sur des collaborations nouvelles tout à fait intéressantes, chacun apportant sa compétence propre. Devant la pertinence de ce type de partenariat, ARES et Investir &+ ont lancé avec le groupe d’insertion Vitamine T et le collectif d’entrepreneurs Yoobaky Ventures l’initiative SocialCOBizz, qui promeut le modèle de Joint-Ventures Sociales.

« Acces est un exemple de Joint-Venture Sociale, car elle résulte de l’association d’un acteur Corporate avec son expertise métier et d’un acteur associatif disposant d’une compétence reconnue sur une problématique sociale, l’insertion par le travail dans le cas présent. Cette conjugaison des savoir-faire respectifs permet de trouver des solutions inédites. SocialCOBizz souhaite faciliter ce type de rencontre et d’alliance. C’est pour cela que nous mettons à disposition une boîte à outils, un pack méthodologique pour créer et développer des JV sociales. Comme nous sommes en présence de modèles encore émergents, il est fondamental de pouvoir les observer, les documenter, pour approfondir l’analyse et diffuser les retours d’expériences des pionniers. Nous souhaitons que tout le monde puisse s’inspirer de nos ressources en libre accès, pour les perfectionner et créer de l’impact. »


« La fraternité, ça ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. »

Les questions/réponses avec la salle sont l’occasion pour François Marty de préciser la philosophie qui sous-tend la manière de « faire du social » du Chênelet, loin de la relation aidants-aidés qui a souvent cours dans le secteur. Avec les personnes en insertion qui travaillent pour le groupe Chênelet, il refuse d’être donneur de leçons. Il exige que l’on mette le meilleur de la société et de l’entreprise pour servir les plus démunis. « Il faut le meilleur de la société pour aider les plus pauvres, et pas des méthodes de bras cassés pour aider des bras cassés ! Cela amène à l’un des piliers oublié de notre devise républicaine : la valeur fraternité. La fraternité demande d’entrer en relation avec l’autre, de prendre en compte ses besoins, ses attentes. La fraternité, ça ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

Attention, il ne s’agit pas de troquer la fraternité contre une espèce de soupe gentillette et un peu niaise ! On est très clair avec les personnes en contrat d’insertion chez nous. On leur demande de respecter le contrat de travail. Mais sans attendre d’eux qu’ils aillent au-delà. Ils ne viennent pas chez nous pour la solidarité ou toute autre vertu. Nos évaluations sont très factuelles. Pour le respect des règles, on utilise l’image suivante. Comme au foot, il y a des hors-jeu. A gauche du terrain, c’est le hors-jeu comportemental : propos machistes, insultes, violence et à droite c’est le hors-jeu technique par rapport à ce qui est demandé sur le poste de travail. On ne veut ni l’un ni l’autre. Ni du gros vulgaire qui travaille bien ni du gentil qui ne fout rien.

Notre société a mis en place des systèmes de travail qui excluent les gens cabossés. Chez nous, la fraternité, c’est inventer des trucs pour que ces personnes puissent travailler. Dans la scierie par exemple, on a remplacé les machines avec des tableaux de bord d’ingénieurs où il fallait plus d’un an pour former quelqu’un. C’est trop long et trop fastidieux. On a maintenant des machines qui se commandent avec un joystick, comme sur les jeux vidéo où beaucoup excellent ! Et en trois jours, nos gars avaient appris à scier des troncs d’arbre. Ça, pour moi, c’est de la fraternité. La fraternité est obligatoirement innovante, car elle implique la relation. Une relation dans laquelle il ne se passe rien n’est pas une relation. »


Les entrepreneurs sociaux et ceux qui les accompagnent ont en commun d’avoir fait le choix de chemins de traverse, souvent moins fréquentés, d’oser aller à contre-courant pour innover au service du bien commun. A partir du besoin des personnes. Mais sans jamais se substituer à leur responsabilité et à leur liberté. Cet équilibre demande une juste conscience de l’apport de chacun pour réinventer la relation aidant / aidé. C’est ce que propose Investir &+ dans sa relation avec les projets qu’il finance et accompagne. C’est ce que le groupe Chênelet vit avec ses salariés en insertion ou les locataires de leur logement.

Une citation de Michel Audiard résume bien ces pionniers de l’impact social : « Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière. »


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Mouvement « B-Corp » ou le pouvoir de l’entreprise au service du bien commun : rencontre avec Elisabeth Laville (Utopies) et Emery Jacquillat (Camif)

Dans cette période de mutation, le rôle des entreprises est amené à évoluer. La seule recherche du profit n’est plus suffisante, même pour faire du profit ! Pour ne pas disparaître, les entreprises doivent se transformer et réinventer de nouveaux modèles. Pour rester compétitives, l’innovation sociale peut constituer un véritable levier pour les aider à penser en dehors du cadre et accélérer le renouveau de leurs stratégies.

Les entreprises qui assument des finalités sociales et environnementales au même titre que les profits économiques se développent. Loin d’une vision naïve ou des seules velléités de communication et d’affichage de bonnes intentions, ces organisations ont basculé dans une pratique d’une RSE 2.0 (> voir l’article sur le sujet) intégrée dans leur cœur de métier.

Un mouvement international articule autour de la labellisation B Corp une communauté de pionniers souhaitant renforcer l’exigence du principe d’entreprise « citoyenne » et qui veulent « faire évoluer le capitalisme. » En octobre 2012, dans un premier article « B Corporations, une nouvelle génération d’entreprises au service du bien commun », je retraçais l’origine de ce mouvement né aux Etats-Unis avant de propager rapidement en Amérique Latine (Empresas B), en Australie et plus récemment en Europe.

Deux ans après son lancement officiel en France lors de l’édition 2015 du World Forum for a Responsible Economy de Lille, la neuvième soirée ‘Vivre l’économie autrement’ nous a permis d’accueillir deux entrepreneurs pionniers de ce mouvement en France, avec des exemples d’entreprises labellisées près de chez nous.

Près de 200 personnes étaient présentes le 6 avril 2017 pour écouter nos deux intervenants nous parler de ces « Business qui peuvent être modèles » :

  • Elisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies, première entreprise certifiée B-Corp en France en 2014 et qui représente le mouvement en France. Elisabeth a une vue globale du mouvement et a accompagné la labellisation et la transformation de nombreuses entreprises en France.  Elle est auteur de nombreux ouvrages dont « Vers une consommation heureuse » et le best-seller « L’entreprise verte. »
  • Emery Jacquillat, PDG de Camif Matelsom, qui a relancé la Camif après son dépôt de bilan fin 2008 sur la base d’un modèle entièrement repensé autour de la création de valeur partagée avec l’ensemble de ses parties prenantes, sur les plans économique, social, sociétal et écologique.

D’une RSE défensive à un changement de modèle…

Pionnière du Développement durable en France avec le lancement du cabinet Utopies dès 1993, Elisabeth Laville a d’abord retracé l’évolution des stratégies de Responsabilité Sociale des Entreprises ou RSE. Même si le terme n’était pas encore d’usage, des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, on a vu l’apparition d’une RSE Béta où l’entreprise développe des actions citoyennes en tant que mécène avec des actions philanthropiques, l’apparition des premières fondations d’entreprise et le bénévolat des salariés. L’enjeu était principalement centré sur la réputation de l’entreprise et la motivation des collaborateurs.

A partir de 1995, l’entreprise a commencé à produire un certain nombre chartres et codes de bonne conduite en termes de politiques corporate. Un reporting Développement durable se met en place et parfois certaines certifications ISO. « La logique de fond de cette étape est principalement basée sur la prévention des risques, la réduction de coûts et l’obligation de communication. C’est finalement une « licence to operate », c’est-à-dire de pouvoir « mériter le droit d’exercer leur métier » en anticipant des risques politiques, économiques, environnementaux voire de rejet des populations locales » précise Elisabeth.

Après plus de vingt ans de mise en œuvre dans les organisations, le développement durable semble néanmoins dans l’impasse pour répondre aux enjeux planétaires qu’il souhaite résoudre. D’une part, si en trente ans les progrès en termes de production ont permis de réduire d’un tiers les ressources naturelles par unité de PIB, la croissance économique et démographique ont fait doubler les consommations globales pendant la même période.

Vers une RSE 2.0 à impact positif

Dans une note de position publiée en avril 2017, Utopies invite à une transition vers une approche intégrée, qui transforme l’offre et le modèle économique. L’autre cause évoquée au relatif échec des politiques RSE jusqu’à présent : « Cantonnées à la philanthropie, à l’éco-efficacité pour économiser les ressources ou à la conformité réglementaire et au reporting, les démarches de développement durable, élaborées dans une approche plutôt défensive, ont surtout visé à prévenir les risques et à limiter les problèmes… mais pas vraiment à résoudre des problèmes. »

L’étape actuelle et le futur de la RSE passe par le fait de se décentrer des processus internes de l’entreprise visant à minimiser des impacts pour s’ouvrir à ce qui se passe à l’extérieur, du côté de l’offre produit et service de l’entreprise. Il s’agit là de généraliser une offre responsable, d’innover, d’ouvrir des opportunités de marché pour résoudre des problèmes sociétaux, en assumant une ambition qui différenciera durablement la marque.

Elisabeth Laville l’exprime clairement : « La RSE doit quitter les périphéries du business. Passer d’une stratégie « Less Bad » (minimiser l’impact négatif) à une démarche « More good » (maximiser l’impact positif). Le développement durable et les stratégies business doivent aller de pair pour construire une entreprise à impact positif. Il nous faut basculer vers une RSE ambitieuse et visible, qui ne reste pas dans les cartons ou les couloirs, mais qui est portée et affichée fièrement par l’entreprise dans sa raison d’être. Ouverte voire co-élaborée avec les parties prenantes, elle devient source d’innovation en interne comme en externe. Bref, une RSE enfin réconciliée avec le business, créatrice de valeur… »

La communauté B-Corp, pour un business qui profite à tous

Utiliser le business comme une force pour le bien commun, c’est la finalité du mouvement B Corp. Leur slogan est « Ne pas chercher à être la meilleure entreprise du monde mais la meilleure POUR le monde. » Ces entreprises privées témoignent qu’elles peuvent, elles aussi, être actrices du changement sans confiner la recherche d’un impact positif sur la société et l’environnement au ressort exclusif de l’État ou des ONG.Derrière l’appellation « B Corp », il faut distinguer d’une part la structure juridique d’entreprise développée dans certains états nord-américains et dans quelques autres pays, dont le statut de Benefit Corporation vise à faire reconnaître – et à protéger – légalement l’engagement d’impact positif sur la société et l’environnement (> plus de détail ici). D’autre part, l’ONG B Lab a lancé une certification permettant d’identifier les entreprises engagées. Le processus de labellisation passe par une auto-évaluation de l’entreprise, qui doit répondre à un questionnaire gratuit et disponible en ligne (> voir ici) portant sur ses pratiques en matière d’impact environnemental, ses relations avec ses parties prenantes et ses pratiques de gouvernance. Il faut l’obtention de plus de 80 critères sur 200, contrôlés par le B-Lab pour obtenir ce label pour une durée de deux ans.

Cette première étape d’évaluation passée, il faut pour rejoindre la communauté B-Corp, modifier l’objet social de l’entreprise, en y inscrivant la responsabilité élargie, la mission de l’entreprise (au-delà de ses activités) et les responsabilités des dirigeants précisant que « les actionnaires souhaitent que les membres du Conseil d’administration et les dirigeants de la Société […] considèrent dans leur prise de décision les effets sociaux, économiques et juridiques de leurs actions. » La signature de la déclaration d’interdépendance permet d’intégrer la grande communauté des entreprises engagées.

Près de 2.300 entreprises ont obtenu cette certification exigeante dans 50 pays. Les chiffres sont à actualiser très régulièrement > ici car ils augmentent rapidement… Des entreprises emblématiques comme Patagonia, les glaces Ben & Jerry’s, Seventh Generation ou l’entreprise brésilienne de cosmétique Natura ouvrent la voie. De grands groupes comme Unilever manifestent un intérêt de faire certifier certaines de leurs filiales. Quatre filiales de Danone viennent d’être certifiées : Aguas Danone en Argentine, Danone Espagne, Happy Family aux Etats-Unis et Les Près rient bio en France avec sa marque de yaourt bio Les 2 vaches, prémices d’une certification globale de l’entreprise, annoncée par Emmanuel Faber en avril 2017 (> voir ici).

Elisabeth Laville précise que, par rapport à d’autres certifications, « la force de B Corp tient à l’esprit communautaire : nous sommes un réseau qui privilégie les échanges entre les entreprises certifiées. Et puis, il y a une approche « fun et sexy » du mouvement pour rendre la démarche de responsabilité plus désirable. J’affiche avec fierté mon pin’s B Corp ; je n’ai jamais vu un manager arborer fièrement sa certification ISO 26000 ! »

L’apparition de cette labellisation questionne la finalité de l’entreprise et son rôle croissant dans les réponses globales à proposer à la société.


Le pari de relancer la CAMIF en misant sur l’impact positif sur les parties prenantes, l’innovation collaborative et le local

Après ses études à HEC, Emery Jacquillat crée ​​en 1995 à l’âge de 24 ans Matelsom, pionnier de la vente de literie par internet. En mars 2009, il fait le pari audacieux de relancer la Camif et d’en faire la référence de l’équipement durable de la maison. En effet, l’ancienne «Coopérative des Adhérents à la Mutuelle des Instituteurs de France», fondée en 1947 par Edmond Proust, qui équipa des générations d’instituteurs et fut le numéro 3 de la VPC en France derrière La Redoute et les 3 Suisses, déposait le bilan fin 2008.

L’entreprise est certifiée B-Corp depuis 2015. Cela semble logique lorsque l’on entend les grands principes appliqués à la renaissance de la Camif décrits par Emery : « Il s’agissait de relancer la Camif en redonnant à ses clients de la confiance et du sens. L’innovation dans les pratiques managériales serait le cœur de notre succès, la révolution digitale, le moteur de la relance. Notre mission est de développer la consommation responsable et la production locale de façon innovante, en ayant un impact positif sur toutes les parties prenantes Camif et sur l’ensemble des enjeux du développement durable. L’entreprise fonctionne donc aujourd’hui comme un réseau social, où plus il y a d’échanges et de liens avec les parties prenantes Camif, plus il y a de création de valeur partagée. Et plus la création de valeur est partagée, plus elle est durable ! »

La RSE, comme Redonner du Sens à l’Entreprise

Les valeurs AAA+ sont le socle du nouveau modèle d’entreprise. Audace d’un entrepreneur qui a dû regagner la confiance de ses clients, salariés et fournisseurs ayant souffert de la chute de la Camif. A comme Attention, portée de manière particulière aux parties prenantes de l’entreprise sur leurs enjeux de développement durable. Enfin, une organisation Agile, adaptée aux accélérations du numérique et de la vente en ligne.

« En 2009, ‘CQFD’ est le nom de code interne de ce qu’il fallait démontrer à nos clients pour qu’ils refassent confiance à la Camif : le Choix de la Qualité, de la fabrication Française et du développement Durable. En repartant sur les valeurs historiques de la marque et les attentes des clients historiques, tout en étant en phase avec les attentes de consommateurs de plus en plus responsables, consommant moins mais mieux, nous avons choisi un positionnement marqué, qui n’est pas basé sur l’entrée de gamme et les produits d’import comme les principaux acteurs du secteur » précise l’enthousiaste entrepreneur.

Depuis 2011, le site Camif.fr donne aux consommateurs le pouvoir de choisir du local en donnant l’information de où, comment et par qui sont fabriqués les produits ? C’est la fonctionnalité de Conso’localisation, limitant les émissions de CO2 (divisées par 4 et primée par l’ADEME) et préservant l’emploi local (15.000 emplois chez ses fournisseurs français). La Camif réalise ainsi aujourd’hui 70% de son Chiffre d’Affaires avec une centaine de fabricants français valorisés par des reportages vidéo « Les Coulisses de la fabrication. »

En 2014, le Tour du Made in France Camif inaugure une tournée annuelle regroupant clients, collaborateurs et fabricants pour créer du lien et innover de manière collaborative. Les ateliers créatifs qui intègrent les ouvriers des usines, des consommateurs avec des acheteurs de la Camif ont permis de bousculer l’offre produit en mobilisant l’intelligence collective. Cinlou, le premier bureau connecté sans fil, est par exemple né de ce processus d’innovation ouverte avec le fabricant Parisot lors de la première édition du Tour du Made in France (> voir vidéo).

En  2016, c’est l’opération « La Camif près de chez vous » qui est lancée en proposant d’essayer le produit que vous voulez acheter chez un voisin déjà client. Collaborative et conviviale, cette approche est une autre manière de faire ses achats pour faire le bon choix avec l’expérience d’autres utilisateurs.

L’engagement pour la qualité durable et française, soutenir les artisans près de chez soi et rassembler toutes les énergies positives sont les piliers de l’engagement Camif regroupé sous la bannière « ça fait du bien ! »

Cette vidéo de 2’ reprend les engagements de l’enseigne :

Libérer les énergies

Cette réussite exemplaire qui en moins de trois ans a transformé une entreprise en déclin pour en faire une entreprise prospère illustre qu’il est possible de « changer le monde en travaillant ensemble à des solutions innovantes » mais Emery Jacquillat de préciser « sous réserve de créer du lien. » Pour réinventer la Camif et réussir l’intégration avec les équipes Matelsom, il a en effet fallu reconstituer une équipe motivée et suffisamment agile face aux défis à surmonter, en réinventant une façon de travailler ensemble. Dès 2009, l’entreprise a mis en place une structure plate en open space, où le président siège au centre, adaptée aux nombreux projets et à une meilleure circulation de l’information. « L’agilité devait commencer en interne. Recréer une équipe qui soit agile, positive, face aux changements et aux défis que l’on avait à surmonter. Casser les codes et passer de schéma de pensée d’organisation pyramidale à un schéma adapté à l’internet, la circulation de l’information. »

Une artiste en résidence pour révéler la principale richesse de l’entreprise : sa capacité à créer du lien

Une des initiatives les plus originales mises en place par ce patron visionnaire a été d’inviter une artiste en résidence pendant trois mois dans l’entreprise. Supprimer les cloisons dans un grand espace ouvert n’implique pas automatiquement l’absence de barrières dans la communication entre les employés. L’artiste Anne-Laure Maison a pris le temps d’observer les modes de relation et de communication entre les collaborateurs du nouveau siège à Niort. Choquée de voir que des voisins de bureau échangeaient des mails pour communiquer entre eux, elle a commencé à dérouler des rubans roses pour matérialiser les échanges entre les personnes qui faisaient l’effort d’aller voir l’autre. Certaines zones étaient plus reliées que d’autres, des îlots restaient isolés. Emery raconte : « Progressivement, l’entreprise s’est tissée de tout un réseau de bandes roses au sol, qui est d’ailleurs resté pendant cinq ans ! Elles sont devenues un symbole d’un nouveau type de relation et d’interaction entre nous. A l’ère du numérique, il faut porter attention au face-à-face. L’importance du lien, entre collaborateurs, avec nos clients et nos fournisseurs est la base trop souvent oubliée de toute organisation. La principale richesse d’une entreprise c’est sa capacité à créer du lien ! »

Cette vidéo de 3’05’’ illustre cette expérience des « bandes roses » :

Donner le pouvoir aux collabor’acteurs

Emery le reconnait sans ambages, le PDG est souvent le premier obstacle au développement de son entreprise. Pour rester agile et flexible, il en propose une nouvelle définition : Prof De Gym : « Pour ne pas se scléroser. Pour toujours s’étirer vers l’extérieur. » Pour lui, le PDG doit avoir une Vision, l’exprimer clairement, la répéter souvent. Il doit créer les conditions pour mobiliser l’intelligence collective et pour cela, lâcher prise, abandonner le pouvoir…

Le budget collaboratif est une bonne illustration de cette dynamique : neuf personnes n’appartenant pas à la direction sont élues pour réaliser le budget, les investissements et la feuille de route de l’année. Ils les présentent ensuite au comité stratégique et à l’ensemble de l’entreprise. Cette ouverture et cette attention aux enjeux globaux de l’entreprise engagent l’ensemble des salariés de manière significative.

Dans l’animation quotidienne de l’entreprise des manières de faire différentes voient le jour : le point du lundi est animé à tour de rôle par des salariés qui peuvent faire un retour d’expérience de leurs initiatives collaboratives ou présenter tout autre projet. Près de la moitié des collaborateurs contribuent à la réalisation du reporting mensuel collaboratif diffusé à l’ensemble des salariés. Chaque semaine, une équipe de l’entreprise est en charge de l’ouverture et de la distribution du courrier, opportunité de découvrir les différents types de courriers reçus, factures, courriers clients… L’aménagement d’espaces collaboratifs, des journées ‘Vis-ma-vie’ généralisées ou ‘J’aime ma boîte’ sont la conséquence de cette prise en main des salariés.

« Entreprendre est avant tout un acte de foi, conclut Emery Jacquillat. Il faut faire confiance à ses idées et ses intuitions. Sortir de son confort. Beaucoup des modèles du passé sont à réinventer. » Et pour accompagner avec enthousiasme, un mot clé : OSE. Pour Objet Social Etendu ! « C’est le rôle d’un entrepreneur que d’avoir des projets audacieux. Car c’est ainsi que l’on engage toutes les parties prenantes. Notre signature c’est « Changeons le monde de l’intérieur », car nous pensons que les entreprises, les clients, les fabricants engagés, sont mieux armés pour changer le monde que toutes les COP 21 du monde. Nous avons le pouvoir de changer la donne en faisant attention à la manière dont on consomme, dont on se déplace… »

Signe qu’une B Corp est une entreprise qui s’engage, la Camif a lancé une pétition pour demander une TVA réduite sur les produits fabriqués localement dans le respect de la planète et de l’Homme (> voir dossier). L’entreprise veut ainsi soutenir tous les entrepeneurs qui expérimentent de nouveaux modèles : écoconception, circuits courts, upcycling, réparabilité, insertion,… « Les produits vertueux doivent être plus compétitifs par rapport à ceux fabriqués n’importe où et n’importe comment pourvu que cela soit moins cher. Les consom’acteurs en quête de sens et qui souhaitent contribuer à travers leurs achats à un monde meilleur sont invités à promouvoir une TVA Responsable en signant la pétition sur Change.org.« 


Climène Koechlin, à l’origine de cette soirée, coordonne aujourd’hui l’essor du mouvement B Corp en France au sein du cabinet Utopies. Elle conclut la soirée en invitant les entreprises intéressées par cette démarche, quelle que soit leur taille, à s’essayer au questionnaire B-Corp. « Disponible gratuitement en ligne, il permet de balayer tous les secteurs de l’entreprise en interrogeant ses propres pratiques. C’est un excellent guide pour structurer une démarche d’amélioration et positionner de nouvelles ambitions. Intégrer le mouvement B-Corp est aussi une formidable opportunité pour démarrer de nouvelles collaborations avec des entreprises d’autres secteurs au sein de cette dynamique communauté d’entreprises engagées. »

Ancienne directrice du World Forum for a Responsible Economy de Lille de 2009 à 2015, Climène présente les équipes de Réseau Alliances qui assureront un relais du mouvement B Corp dans les Hauts-de-France. C’est tout à fait en phase avec l’excellent travail de ce réseau pionnier d’entrepreneurs pour la RSE dans la région qui accompagne les entreprises à améliorer leur performance économique tout en respectant l’Homme et l’Environnement.

 


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Les entreprises humanistes : plus fortes non par calcul mais par choix. Et elles peuvent changer le monde !

Face à la violence de la compétition économique, parler de bonheur, de bienveillance et de solidarité peut sembler naïf voire utopique. Évoquer les entreprises «humanistes» pourrait donc sembler faire référence à une vision édulcorée de la ‘dure réalité’ du monde du business. Comme le souligne le philosophe Patrick Viveret : « Dès qu’on est dans l’ouverture aux autres, on se fait taxer de Bisounours ! » Pourtant, les deux intervenants de la huitième soirée Vivre l’économie autrement ont illustré la force de ces organisations qui laissent une large place aux individus et à leurs actions pour favoriser le bien commun. Motivation par le sens donné au travail, confiance dans les collaborateurs, sentiment de justice organisationnelle, raison d’être et responsabilité sociale de l’entreprise : la finalité humaniste rime souvent avec création de valeur, innovation et performance.

Près de 200 personnes étaient présentes le 8 novembre 2016 pour écouter nos deux intervenants :

Jacques Lecomte, docteur en psychologie et président d’honneur de l’Association française de Psychologie positive. Dans son ouvrage, « Les entreprises humanistes » paru début 2016, il démontre avec de nombreux exemples et résultats d’études que l’humanisme en entreprise devient réalité et démontre combien sens et performance peuvent se conjuguer harmonieusement. Un des exemples d’entrepreneur humaniste détaillé dans son livre est celui d’Hubert de Boisredon qui l’accompagnait pour un témoignage vécu dans l’entreprise Armor. On retrouve également dans ce livre de nombreuses mentions à des personnes et organisations que nous avons reçues lors des soirées Vivre l’économie autrement : Emmanuel Faber, Isaac Getz, Medhi Berrada (Poult), Laurence Vanhée, Matthieu Dardaillon, Tony Meloto, Frédéric Laloux,…

Hubert de Boisredon rejoint la direction d’Armor en 2004. Entreprise industrielle nantaise de chimie des encres et des techniques d’impression, elle est alors dans une situation difficile. En plaçant l’innovation sociétale au sein de son groupe, dans une vision humaniste de développement durable de l’entreprise, d’un management par la confiance et d’amélioration des conditions de travail, la transition est une réussite et l’entreprise affiche une dynamique très positive en termes de résultats, emplois, investissements et projets d’avenir… J’ai eu la chance de collaborer avec Hubert au début des années 1990 pour le développement du Banco CONTIGO, une banque de microcrédit dans les bidonvilles de Santiago du Chili qu’il a fondée avec Laurent Marbacher.


L’approche humaniste, source de performance

« L’humanisme ça a du sens et ça fonctionne bien ! » lance derechef Jacques Lecomte pour donner le ton de son propos. « Ce que j’appelle une « entreprise humaniste » c’est un regroupement de femmes et d’hommes qui agissent ensemble au service du bien commun. Cela concerne de bonnes relations avec l’environnement extérieur de l’entreprise, ses parties prenantes. Cela intègre également, à l’intérieur de l’organisation, de bonnes conditions de travail pour les salariés, et notamment de bonnes conditions relationnelles, c’est-à-dire, un management du respect, de la confiance, de la revalorisation, de la bienveillance. Cette notion de bien commun comprend aussi le fait de produire des produits de qualité pour les clients et consommateurs, dans le respect de l’environnement. »

Jacques Lecomte ouvre ainsi à une définition originale de l’entreprise, définie par sa finalité. L’aspect économique n’est pas mis de côté mais ce n’est pas la finalité : la création de valeur financière est ainsi un outil « au service de », pour que l’entreprise puisse accomplir ses tâches plus que l’horizon ultime de sa finalité.

Ecrivain et chercheur, Jacques Lecomte n’est pas un naïf béat. Docteur en psychologie, il est le promoteur en France de la psychologie positive. Ce courant de recherche part du constat que, depuis son origine, la psychologie s’est exclusivement intéressée à ce qui allait mal chez les êtres humains, aux souffrances psychiques. Fort de la compréhension des pathologies, la psychologie positive commence à s’intéresser à ce qui va bien chez l’individu et à étudier le sens de la vie, le bonheur, la motivation, l’optimisme, autant d’éléments essentiels pour le monde du travail. Au niveau interpersonnel, la psychologie positive s’intéresse aux valeurs et aux attitudes comme la coopération, l’empathie, la bienveillance, la confiance.

Retrouvez ici l’interview de Jacques Lecomte (4’51’’)

Le livre ‘Les entreprises humanistes’ regorge ainsi de nombreuses références et synthèses d’études scientifiques qui visent à décrire la manière dont ces valeurs et ces attitudes peuvent se vivre dans l’entreprise, avec un niveau de performances et de résultats élevés. Il se termine par près de 60 pages de notes et références qui témoignent de la richesse et la variété des études citées. Il a également interviewé de nombreux managers d’entreprises, numéro un dans leur domaine d’activité.

Constater l’impact positif de son travail, une source essentielle de la motivation

Jacques Lecomte commence par distinguer deux types de motivation : intrinsèque lorsque la personne trouve de l’intérêt dans l’action elle-même ou extrinsèque lorsque son intérêt est le résultat obtenu à la suite de son action, traduit en termes de salaires, de primes ou autres avantages. La motivation intrinsèque est sans surprise plus durable et profonde. Ce ressort est d’autant plus facilement éprouvé quand l’activité permet de satisfaire des besoins psychologiques fondamentaux, comme le besoin d’autonomie, de relations humaines mais aussi de sens, d’utilité sociale, de cohérence avec des valeurs personnelles.

L’altruisme est ainsi avéré comme une composante majeure du bonheur et de la motivation au travail. En particulier, les travaux d’Adam Grant, professeur à l’université de Pennsylvanie, cherchent à comprendre l’impact positif sur une personne du fait de savoir que son métier sert les besoin d’autrui. Le sentiment d’être utile incite à faire son travail le mieux possible. Cette « motivation de service public », le désir d’être professionnellement utile aux autres, est une composante majeure de l’engagement des salariés. Il est donc essentiel de créer les conditions pour que les collaborateurs puissent constater l’impact positif de leur travail sur ceux qui en bénéficient. 

Le pouvoir de la coopération

Aujourd’hui, la plupart des activités au sein des organisations nécessitent une collaboration entre collègues de différents services, voire avec des personnes extérieures à l’organisation. Dans cette logique de travail en réseau, chercher à obtenir individuellement les meilleurs résultats n’est pas la voie la plus efficace. Dean Tjosvold, professeur à l’université de Lingnan à Hong Kong a centré ses recherches sur la coopération dans les organisations, avec des dizaines d’enquêtes dans des entreprises très différentes dans le monde. A partir de trois types d’interaction entre des individus : la coopération (l’atteinte de mes objectifs dépend de celle de ceux des autres), la compétition (l’atteinte de mes objectifs se fait au détriment d’autrui) ou l’indépendance (mon succès n’a pas d’impact sur celui des autres). D’une recherche à l’autre et quelle que soit l’entreprise étudiée, les résultats sont identiques : la coopération est systématiquement corrélée à la satisfaction et l’implication des membres de l’équipe, au plaisir de travailler ensemble, à la confiance dans les collègues, au désir d’améliorer l’efficacité de l’organisation, de réduire les coûts de production. C’est l’inverse qui se passe en situation de compétition ou d’indépendance.

« Dans une atmosphère de coopération, les collègues peuvent exprimer ouvertement des opinions divergentes, en vue de résoudre un problème, sans que cela génère du ressentiment. En revanche, en situation de compétition, les gens ont tendance à rejeter les suggestions d’autrui, à prendre des décisions unilatéralement. Les personnes fonctionnant de manière coopérative ont tendance à parler ouvertement des erreurs faites et en tirent une source d’apprentissage pour le futur. Inversement, dans un contexte compétitif, reconnaître une erreur est dangereux, car cela risque fort d’être interprété comme une marque d’incompétence, ce qui limite les possibilités d’apprentissage organisationnel. En mode coopératif, un collaborateur sera en attende de feed-back de qualité pour progresser, il est motivé – intrinsèquement – pour travailler avec plus d’implication. Un manager compétitif ou indépendant n’imagine pas qu’un collaborateur puisse souhaiter s’impliquer spontanément et essaient de faire pression sur eux, ce qui se révèle inefficace. Il y a une spirale vertueuse entre coopération et performance.»

Les défauts de la coopération : le risque de la « pensée de groupe »

Aux vertus de la coopération, Jacques Lecomte alerte sur le danger de tomber dans le piège séducteur de la « pensée de groupe. » Ce phénomène a été étudié et conceptualisé dans les années 1970 par un professeur de l’université de Yale qui cherchait à comprendre les raisons qui avaient amené l’administration américaine à prendre des décisions aboutissant à de retentissants fiascos (non prévision de l’attaque de Pearl Harbor, invasion ratée de la Baie des Cochons) ou à des réussites (plan Marshall, crise des missiles de Cuba). L’analyse des échecs souligne une caractéristique commune dans le fonctionnement du groupe de décideurs : l’intensité de la loyauté envers leur groupe et les pressions vers l’uniformité qui s’y exerçaient. Chaque membre évite ainsi de soulever des sujets de controverse et de contester la faiblesse de certains arguments. « Lorsque chacun s’efforce de maintenir l’unité et l’unanimité du groupe en évitant tout conflit qui pourrait lui nuire, la qualité de la prise de décision diminue. Cette pensée de groupe est imperméable à l’autocritique, génère de l’autocensure, décrédibilise l’extérieur par une vision stéréotypée et chargée de tous les défauts… Il faut se méfier des « gardes de l’esprit » qui, à l’image des gardes du corps, ont pour fonction de protéger les responsables des informations désagréables à entendre. » Pour favoriser l’expression des doutes et des objections qui enrichissent une prise de décision, il semble donc bénéfique d’institutionnaliser un système de critique bienveillante des décisions collectives. Fou du roi, poil à gratter, avocat du diable : veillons à laisser de la place à ceux qui peuvent formuler des critiques, lorsque c’est nécessaire. Si c’est fait avec bienveillance et sans remise en cause des personnes, cela ne nuira pas à la bonne entente d’un groupe en mode coopératif…

Bâtisseur affirmatif, leader-serviteur : les entreprises humanistes révèlent un leadership à contrecourant des représentations habituelles…

De toutes les théories sur le leadership, une seule semble avoir été écrite par un praticien du monde de l’entreprise. Ainsi, Robert Greenleaf (voir aussi l’article Le danger est de trop écouter l’analyste, pas assez l’artiste) parle de leader-serviteur, non pas comme un leader qui a envie de rendre service mais comme quelqu’un qui a envie de rendre service et devient leader… Jacques Lecomte nous précise : « On reconnaît un leader-serviteur, un manager humaniste, à sa capacité à redonner le sourire à un collaborateur en difficulté, à sa manière de remercier chacun pour sa contribution à la réussite globale. Il porte une vraie vision mais sans ambition de domination sur les êtres. Généralement, il ne considère pas l’entreprise comme sa propriété ; le dirigeant n’est pas propriétaire de l’âme de son organisation, il est là pour l’aider à la faire vivre et briller. Il devient contemplatif de ce qui se vit. »

Revue Sciences Humaines juin 2017, Le management peut-il être humanisteLe numéro de juin 2017 de la revue Sciences Humaines consacré au pouvoir de l’empathie présente un article de Jacques Lecomte intitulé « Le management peut-il être humaniste ? » qui reprend la synthèse de ses travaux en s’appuyant sur l’exemple d’Amor

> Article à retrouver ici 

Jacques termine son intervention par une citation de Nelson Mandela : « La bonté humaine est une flamme que l’on peut cacher, mais pas éteindre. » Après vingt-sept ans d’incarcération, il a puisé la confiance dans un soupçon de bonté du pire de ses geôliers. C’est ce qui lui permit de faire le pari que ses pires ennemis pourraient être ses partenaires lorsqu’il assuma la présidence de l’Afrique du Sud en 1994. « Je suis sûr que si on adoptait la vision de Mandela sur le monde autour de nous, si nous regardions le monde positivement, on pourrait le changer. »

>>> en prolongement, l’article Cap sur l’Espérance reprend l’inspirant discours d’investiture à la présidence de son pays.


« L’entreprise ne doit pas céder sur l’essentiel », Hubert de Boisredon

Entreprise et humanisme ne se conjuguent pas naturellement explique le PDG d’Armor tant nos conceptions du business sont marquées par des années d’enseignement où la seule finalité de l’entreprise semblait être la maximisation des profits pour l’actionnaire. Son expérience de chef d’entreprise démontre aujourd’hui le lien direct entre bonheur au travail et performance : « Quand on est bien dans l’entreprise, quand on en perçoit le sens, on a envie de s’y donner pleinement, il y a un élan qui se traduit dans le service aux clients et donc dans les résultats de l’entreprise. »

Pourtant à son arrivée à la tête d’Armor en 2004, l’entreprise spécialisée dans les encres et les consommables d’impression vit un contexte difficile et de grande fragilité : baisse du chiffre d’affaires, famille actionnaire désirant vendre, absence d’investissements depuis quelques années, beaucoup de tensions sociales et un management problématique basé sur le principe ‘diviser pour régner’ générant silos étanches et oppositions internes. « Nous étions dans une entreprise à l’opposé de l’humanisme où les égos étaient plus forts que le projet. L’entreprise manquait de vision ; les équipes ne savaient plus quelle était la direction à prendre. Pour moi, une entreprise humaniste est une organisation qui met le projet et les valeurs à la source du projet, au cœur de l’entreprise, pour fédérer l’ensemble des équipes. La rentabilité est nécessaire. Mais ce n’est plus l’objectif numéro 1. La question centrale, c’est « à quoi sert l’entreprise ? », « on agit pour quoi ? »

Quand en 2005, un fonds d’investissement anglo-saxon lui suggère pour sauver l’entreprise de se séparer de la branche nettement déficitaire des cartouches d’encre pour ne maintenir que l’activité fonctionnant bien des rubans transfert thermique, sa réponse est claire : « Je comprends votre logique, mais il y a un problème : cette activité emploie mille personnes et je ne suis pas venu pour les mettre au chômage. » Sans forcément savoir le chemin qu’il fallait prendre, il engage son entreprise dans un double renouveau : celui du management interne pour le baser sur la confiance, la coopération et la responsabilisation de chacun d’une part et celui d’une vision reposant sur un engagement très fort pour le respect de l’environnement d’autre part.

Le redressement spectaculaire de l’entreprise repose sur cette double orientation. Dix ans après sa prise de fonction, Armor est une entreprise en bonne santé, avec 2.000 collaborateurs dans le monde, une rentabilité multipliée par trois et un chiffre d’affaires de 223 millions d’euros en 2014. Leader mondial de la technologie du transfert thermique et leader européen la production de cartouches jet d’encre, l’entreprise base aussi sa pérennité sur la recherche et développement pour lancer des produits très innovants.

Un management qui libère les énergies

Selon Hubert de Boisredon, le management peut être ‘anthropophage’, c’est-à-dire que les luttes internes, la compétition à outrance, la pression exercée sur les équipes finit par tuer toute richesse humaine, ou il peut être basé sur la confiance afin de libérer le meilleur des énergies de chacun. « J’invite les gens à être leaders dans leur domaine. Je leur redonne le pouvoir. Je pense que chaque fois qu’il y a une bonne idée, il faut l’encourager. Il faut créer une ambiance où les gens se sentent valorisés et autorisés à prendre des initiatives. Je demande à mes collaborateurs qu’ils m’apportent non pas des problèmes mais des solutions, parce que je suis convaincu qu’ils peuvent les trouver par eux-mêmes. »

Pour lutter contre des concurrents installés dans des pays à bas coûts de main d’œuvre, il faut être inventif et favoriser l’engagement des salariés pour être plus rentables que certains sites en Chine ! La robotisation doit libérer les opérations lourdes sources de TMS ; la création de crèches pour les enfants des salariés s’est faite avec leur participation ; l’université Armor permet d’améliorer les compétences de chaque collaborateur et de leur permettre l’obtention d’une formation diplômante,… Cette initiative a d’ailleurs été récompensée par le prix Management Responsable du forum MR21 cette année.

Un management qui laisse place à la fragilité

« Il y a une vingtaine d’années, l’un de mes patrons, un dirigeant d’une division d’un groupe du CAC 40, avait donné comme instruction à tous ses managers de remplacer systématiquement chaque année 10% des effectifs de nos équipes, quoi qu’il arrive, même si ceux-ci nous apparaissaient performants. Il s’agissait selon lui d’un principe à respecter pour que les équipes soient toujours les meilleures et que chacun se surpasse. Était-ce la meilleure méthode pour réussir ? J’en doute fort car ce principe signifiait en fait que les personnes en tant que telles ne comptaient pas. Seul valait leur performance. Celui qui tombait malade ou était atteint par un coup dur de la vie était éliminé. L’angoisse dominait. Chacun se demandait quel serait le prochain à être licencié. Ce type de management, par le stress et la pression, peut avoir un impact positif à court-terme sur les résultats, mais ne permet pas à une équipe de réussir dans la durée. Ce n’est pas le type de management auquel je crois. »

L’expérience d’Armor témoigne d’une autre voie pour atteindre la performance dans la durée. Sans prétendre être un modèle à suivre, plusieurs exemples indiquent que des initiatives peuvent être prises dans beaucoup d’organisations. Une situation concrète était particulièrement significative : « Il y a quelques années, le responsable de notre entrepôt logistique me fait part de la difficulté à garder dans l’équipe un jeune avec une déficience mentale, à la fois pour le manque d’utilité, voire de rentabilité, de son travail et pour sa propre sécurité. Pourtant, face à ce constat, ce qui me frappait, c’est de voir que ce jeune Patrick apportait beaucoup aux équipes par sa joie de vivre, sa manière de saluer les uns et les autres avec enthousiasme. Nous avons donc décidé de prendre le temps de nous arrêter pour trouver une solution. Quelques semaines plus tard, l’implication des équipes alliée à leur volonté de préserver l’environnement nous ouvrait à la solution. Pour éviter les chocs dans le transport, les cartouches d’imprimante étaient calées avec des billes de polystyrène ou du papier kraft. Le budget annuel pour ces fournitures atteignait 40.000 €. Par ailleurs, nous jetions d’énormes quantités de carton en provenance de nos propres fournisseurs. Une déchiqueteuse a donc été achetée pour fabriquer sur place des filaments en carton qui permettent de bien caler nos cartouches et de les protéger. Patrick devenait ainsi opérateur de machine et fait économiser de l’argent à l’entreprise. Sa fierté et sa bonne humeur sont encore plus contagieuses au sein de l’entrepôt ! »

Cet exemple illustre une nouvelle fois que ce qui était au départ un problème s’est transformé en solution efficace. Hubert de Boisredon en profite pour réaffirmer une de ses convictions fortes : intégrer des personnes fragiles peut booster l’esprit d’équipe dans la durée, sans forcément attendre d’un coach ou d’un consultant externe qu’il accompagne – parfois à grands frais – la cohésion d’une équipe de travail. « L’histoire de Patrick nous rappelle l’essentiel de la vie. Si la personne fragile trouve sa place et est accueillie, alors tous les employés de l’entreprise sauront qu’ils ont une valeur et que leur place dans l’entreprise est reconnue. Chacun sent bien au fond de lui-même que sa motivation au travail dépasse l’argent qu’il en retire. L’épanouissement de chacun dépend en grande partie du regard que nous portons sur la personne. C’est ainsi une chance pour l’entreprise. Une personne porteuse de handicap n’a pas peur de dire « aidez-moi » et cela libère la solidarité dans les équipes. Cela contribue à l’humanisme. »

Le développement durable, source durable de développement

Quand on vend des consommables d’impression, l’accompagnement sur le sens devait se faire sur une mobilisation ambitieuse autour d’une « impression responsable » L’entreprise a lancé le programme OWA qui vise à fortement réduire l’impact environnemental des produits, notamment par la collecte et le recyclage des cartouches usagées, et à en faire un argument commercial auprès de ses clients. 95% des cartouches peuvent être recyclées et réutilisées plusieurs fois comme produits remanufacturés, avec un prix de vente inférieur de 30%. En fin de cycle, ses composants sont même recyclés en matières premières pour l’industrie. OWA pour ‘Our Way to Act’ fait également écho au WA, mot japonais pour dire le cercle, l’anneau : l’économie circulaire est devenue le fer de lance de l’entreprise ! La fabrication des rubans à transfert thermique ne sont pas restés en retrait, avec une fabrication sans solvants chimiques. Les émissions de COV (composés organiques volatils) ont été diminuées de 94% en dix ans.

Le choix stratégique du développement durable s’exprime aussi par de nouvelles orientations industrielles, avec le lancement du programme de recherche OSCAR (Organic Solar Cells by Armor) et le projet Beautiful Light. Profitant de son savoir-faire dans la fabrication de film transfert thermique et l’électronique imprimée, Armor devient pionnier dans la fabrication de film photovoltaïque organique (OPV), véritable révolution technologique et sociétale permettant de produire de l’énergie solaire sur des supports souples. ASCA est ainsi le premier film photovoltaïque de 3ème génération ultrafin produit en série. Innover, c’est prendre le risque d’investir dans des programmes de recherche pour développer les produits de demain qui assureront la pérennité de l’entreprise et l’accès à l’énergie solaire.

« J’avais l’intuition qu’on pouvait relever l’entreprise en misant sur le développement durable. L’important, c’était d’essayer de voir comment arriver à transformer un problème en atout. Pour moi, le développement durable n’est pas une contrainte nécessaire, mais une formidable opportunité pour que l’entreprise soit socialement utile. J’ai pensé que notre savoir-faire industriel pouvait être utilisé dans une activité qui ait du sens. Je suis parti de cette conviction et de l’amour des gens pour leur métierLe sens est un moteur hyper puissant pour les collaborateurs ! »

> Le Rapport RSE 2016 d’Armor peut être téléchargé en cliquant sur le visuel; la section « Innovation sociétale » du site internet de l’entreprise explicite la stratégie et la mesure de leurs avancées. Cela illustre comment les enjeux de société guident les choix de l’entreprise dans l’élaboration de son business modèle.

Cet engagement pour le développement durable d’Armor vient d’être récemment reconnu par sa participation comme l’une de deux entreprises françaises invitées au G7 de l’Environnement à Bologne en Italie les 11 et 12 juin 2017.

Retrouvez une courte interview d’Hubert de Boisredon (5’41’’) :

>>> Pour lire l’intégralité du témoignage d’Hubert de Boisredon dans sa gestion humaniste d’Armor publié dans le livre « Les entreprises humanistes » > cliquez ici


« Ce qui donne du sens à ma vie, dit Hubert de Boisredon, c’est d’essayer d’agir sur les leviers qui permettent de transformer la société. On ne se rend pas compte à quel point l’entreprise peut être une source de croissance humaine. Mon rêve, c’est de faire d’Armor un groupe industriel de développement durable, une entreprise qui réponde à des enjeux de société. Le souci de la planète est une conviction et un engagement profond qui fédère les salariés de l’entreprise. Nous voulons montrer par notre action que l’industrie peut être respectueuse de l’environnement, contribuer à l’épanouissement des femmes et des hommes qui composent l’entreprise et à humaniser la société environnante. »

Cela rejoint l’invitation de Jacques Lecomte à changer radicalement de perspective au sujet de la raison d’être des entreprises, en proposant cette définition d’une entreprise, communauté de personnes au service du bien commun. Cette perspective repose sur une idée forte : il est possible de construire une société fondée sur la coopération plus que sur la compétition, sur l’interdépendance plus que sur l’individualisme, sur la confiance plus que sur le contrôle, sur le service d’autrui plutôt que sur la loi du plus fort.

L’optimisme, levier pour changer le monde

Face aux défis de notre monde, dénoncer les exactions de quelques-uns ou demeurer dans un scepticisme stérile ne suffit plus ; le catastrophisme n’a jamais constitué une réponse motivante qui donne envie de passer à l’action. « La meilleure manière d’être réaliste, c’est d’être profondément optimiste et idéaliste. Le monde oscille entre l’admirable et le détestable, et il nous faut rester lucides. Mais cela n’interdit en rien l’optimisme ; non comme une attente immobile, mais comme un engagement concret, en nous inspirant de tout ce qui existe déjà de positif dans ce monde. Il nous faut passer du pessimisme désespérant à l’optiréalisme inspirant.  Pour que se multiplient ces pratiques, commençons par modifier notre regard. Accueillons gaiement la capacité de l’être humain à aimer coopérer et à faire preuve d’empathie à l’égard de ses semblables. »

>>> Cela rejoint tout à fait la vision proposée par Frédérique Bedos du Projet Imagine et de Christian de Boisredon (frère d’Hubert !) et initiateur de Sparknews qui intervenaient tous les deux lors de la quatrième soirée Vivre l’économie autrement : valoriser les initiatives qui marchent car elles donnent envie d’agir.

Et Jacques Lecompte de conclure, dans des propos semblables à ceux de Jean-Louis Lamboray que nous avons reçu précédemment, « C’est en pariant sur ce qu’il y a de meilleur en l’être humain que ce meilleur peut se révéler. »


 

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La Silicon Valley du Social Business existe, je l’ai rencontrée. Voyage inspirant au cœur de l’écosystème Gawad Kalinga aux Philippines.

J’ai eu la chance de découvrir l’écosystème de l’ONG Gawad Kalinga fondée par Tony Meloto visant à l’éradication de la pauvreté aux Philippines. L’esprit entrepreneurial pour adresser des problématiques sociales et la co-création multi-acteurs au sein d’une entreprise plateforme est remarquable à de multiples égards pour de nombreuses organisations. Gawad Kalinga est certainement une source d’inspiration pour les nouveaux modes d’organisation et de création de valeur d’entreprises privées qui doivent faire face aux défis de leur propre réinvention.

Un leader inspiré et inspirant au service d’une collectif aligné

tony-meloto-gawad-kalinga-by-nicolas-cordierGawad Kalinga est étroitement associée au parcours de vie et à la personnalité de Tony Meloto. Vice-président de Procter & Gamble, son questionnement sur les profondes inégalités de son pays l’amène à changer de vie. Il part à la rencontre de jeunes délinquants de Bagong Silang, le plus grand bidonville de Manille, mégalopole de 15 millions d’habitants. De cette immersion naîtra l’ONG qu’il fonde en 2003, où l’ancien homme d’affaires applique les principes de l’entreprise pour donner « ce qu’il y a de meilleur aux plus démunis. »

Treize ans plus tard, c’est la première organisation du pays avec jusqu’à 1,7 millions de bénévoles chaque année, la construction de 3000 communautés villageoises et déjà 1,5 millions de personnes sorties de la pauvreté. Le défi qu’il se propose de relever est ambitieux : débarrasser le pays de la pauvreté d’ici 2024 en aidant 5 millions de foyers à retrouver leur dignité. Sa méthode : une approche holistique de lutte contre la pauvreté en aidant sur la durée les gens à s’aider eux-mêmes, à partir de valeurs partagées avec des partenariats innovants associant multinationales, entreprises locales, hommes politiques, jeunes professionnels et des entrepreneurs sociaux.

walang-iwanan-bayanichallengeEn langue tagalog, Gawad Kalinga veut dire partager et prendre soin. L’action du mouvement repose sur les principes Walang Iwanan, dicton philippin signifiant ne laisser personne en retrait et de l’esprit de partage du Bayanihan, héroïsme collectif symbole d’effort de coopération.

> voir l’article précédent Tony Meloto, bâtisseur de rêves et innovateur social.

Immersion dans la communauté de Silver Heights

Au cœur de Manille, dans le quartier de Malaria, Bart Hangdaan nous accueille dans la communauté dont il est le responsable, un ensemble de maisons colorées pour 78 familles. De nombreux habitants sont là pour nous souhaiter la bienvenue, « mabuhay » : l’accueil est bien l’un des sept piliers de la vision de la communauté !

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Dans la salle commune, Bart nous invite à partager un repas en nous expliquant l’histoire de la communauté. « Nous avons été squatters toute notre vie. Nous vivions dans des cabanes faites de quelques planches et des toiles en plastique en bordure de Commonwealth Avenue, une des principales artères de Quezon City. Le lieu était qualifié kubeta (toilettes) et nous étions considérés comme des sous-hommes. Nos logements ont été détruits dix fois pour faire place nette et chaque fois on reconstruisait. Fin 2009, c’est un incendie qui a tout dévasté. Nous avons tout perdu. C’est à ce moment que Gawad Kalinga est venu à notre rencontre. Avec le soutien de l’entreprise Hyundai, un projet d’habitations en dur, avec toilettes, alimentation électrique et eau potable a commencé à voir le jour. »

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La construction s’est faite progressivement. Les familles vivaient sur le trottoir adjacent. Le principe Walang Iwanan prend toute sa signification lorsque Bart nous raconte que l’emménagement s’est fait lorsque la dernière maison fut terminée. « En tant que communauté, nous avions décidé que personne n’emménagerait tant que toutes les maisons ne seraient pas construites. Or, les premières maisons étaient prêtes un an avant. Mais nous n’avions pas traversé ensemble toutes ces épreuves pour laisser des gens derrière nous. » N’abandonner personne, ne laisser personne en retrait, est une réalité très concrète, ciment de la solidarité de cette communauté.

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Après la construction des maisons, c’est celle de la communauté qu’il faut continue à consolider, les assemblées hebdomadaires y contribuent. Bart Hangdaan nous détaille chaque affiche des murs de la salle communautaire où ils se rassemblent et en particulier les sept piliers de la communauté Gawad Kalinga : foi en l’avenir, havre de paix, respect de l’environnement et de la santé, espace sécurisé, centre de production, d’autonomisation et même d’accueil de touristes. Trois titas – parmi les femmes les plus âgées du groupe – viennent d’ouvrir une boulangerie pour servir le quartier dès 4h chaque matin ; un atelier de couture se développe avec cinq postes de travail, une superette et de la vente du riz… ces micro-entreprises visent à améliorer les conditions de vie des familles. 24 projets ont été définis par la communauté : lombricompostage, tri des déchets, salle de jeux pour les enfants, chambre d’hôtes,…

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A 22h, la cloche sonne : il est l’heure pour les enfants de rentrer chez eux, le son des téléviseurs est diminué et la ronde de sécurité se met en place pour la nuit, quinze groupes se relayent ainsi chaque soir pour garantir un espace sûr pour ces familles. Il est temps pour nous de rejoindre nos familles d’accueil, fières de recevoir chez elles des étrangers de passage, car longtemps indésirables, les habitants de Silver Heights sont fiers d’être désormais perçus comme des innovateurs à qui l’on vient rendre visite.

attitude-100Bart conclut la soirée en nous redisant l’importance de l’attitude pour toujours aller de l’avant, jamais en arrière. Avec un clin d’œil et un sourire malicieux, il nous fait remarquer qu’en faisant la somme du rang alphabétique de chaque lettre du mot A.T.T.I.T.U.D.E, on obtient 100% : la formule magique que chacun est invité à pratiquer !

Les valeurs partagées, le combat du cœur et le changement de mentalité des individus sont des fondations essentielles dans la lutte contre la pauvreté ; le développement d’activités économiques qui permet de passer de la subsistance au développement ne peut prendre racine que chez des personnes ayant retrouvé un peu de leur dignité. Tony Meloto dit souvent : « L’aspect le plus visible de Gawad Kalinga, ce sont les maisons multicolores avec jardinet de nos villages. Mais nous construisons des communautés sur des valeurs, pas juste sur de la pierre, du ciment ou du bois. Le remède à la pauvreté se trouve à l’intérieur même des êtres humains, dans leur potentiel inexploité qu’il s’agit de révéler. »

Enchanted Farm : la première ferme-université au monde

logo-gk-enchanted-farmPour relever le défi d’éradiquer la pauvreté aux Philippines d’ici 2024, Gawad Kalinga a défini une feuille de route en trois phases. La première (2003-2010) s’est attaquée à la justice sociale. 3.000 communautés d’une cinquantaine de maisons colorées ont déjà été créées. La dynamique continue à s’amplifier, il s’agit de passer le cap des 10.000 villages autosuffisants et écologiquement responsables dans cet archipel aux sept milles îles.

La deuxième phase (2011-2017) est celle du « talent artistique social » (social artistry), c’est-à-dire, la co-construction de l’écosystème permettant d’essaimer un modèle de développement holistique durable. Les communautés GK sont des laboratoires sociaux, points de convergence d’innovations sociales permettant aux plus pauvres d’améliorer durablement leurs conditions de vie. C’est ainsi que naît la première « Enchanted Farm » qui tient son nom de la localité d’Encanto où elle voit le jour, dans la ville d’Angat, province de Bulacan au nord de Manille. La Ferme enchantée se veut être le laboratoire de recherche des solutions pour ré-enchanter le vivre ensemble et le rêve philippin d’une société plus inclusive. Pour Tony Meloto, il s’agit de créer une ferme-université, un écosystème favorisant l’émergence d’entreprises sociales pour sortir de manière durable de la pauvreté. « Nous avons la terre, nous avons les hommes, nous avons les idées, mais il nous manque encore les entrepreneurs. Pour éradiquer la pauvreté aux Philippines, nous devons rêver grand, et seuls les entrepreneurs ont la capacité de changer notre façon de penser et d’agir. »

Fin 2010, il n’y avait que des friches inexploitées, abîmées par l’extraction de terre de remblai, infestées de moustiques et sans route d’accès. Après trente minutes de marche sur un chemin boueux, les premiers visiteurs de cet endroit se souviennent de leur surprise voire de leur scepticisme quand le visionnaire Tony Meloto leur présentait la future ‘Silicon Valley de l’entrepreneuriat social’, le ‘Harvard des démunis‘, le ‘Disneyland du tourisme social‘…

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En quelques années, ce village pilote présente un tout autre visage : l’entrée de cette « ferme université » se présente comme un Hub pour entrepreneurs sociaux, la maison des bâtisseurs de la nation. Douze hectares sont maintenant exploités (> voir plus de photos ici) avec des exploitations agricoles, de la permaculture, de la pisciculture, de l’élevage de poules, canards, chèvres et moutons, plusieurs salles de séminaires, des lieux d’hébergement et de restauration, un hôtel et plus de quarante entreprises sociales : produits de beauté, confection, tissage, jouets, boulangerie, tourisme social, construction en bambou,…

La Ferme Enchantée est un exemple d’entreprise plateforme : les interactions entre les différentes entreprises sociales ouvrent sur de nouvelles formes de partenariats et d’alliances entre les différents projets. Cette manière d’optimiser les relations avec les différentes parties prenantes est au cœur de la mission de chaque initiative et transforme la manière dont la valeur est créée.

Cet écosystème innovant va commencer à être essaimé dans sept autres régions des Philippines en 2017 avant d’en avoir 25 dans les années à venir. Il s’agit de démultiplier ces incubateurs d’entrepreneurs sociaux qui doivent favoriser l’émergence de 500.000 entrepreneurs sociaux d’ici 2024. C’est la troisième phase de la feuille de route de GK : ‘Social Progress’ qui a pour objectif de travailler sur le changement d’échelle et la durabilité de ce qui a été expérimenté jusqu’à présent pour susciter une nouvelle génération de citoyens autonomes, passés de la pauvreté à la prospérité avec une forte (re)valorisation d’eux-mêmes.

SEED, une formation-action pour les graines d’entrepreneurs sociaux

logo-seed-philippinesA la rentrée 2014, la Ferme enchantée a lancé son université pour former de nouveaux entrepreneurs sociaux parmi les philippins les plus démunis. SEED (School for Experiential and Entrepreneurial Development) accueille sa troisième promotion. Les 29 premiers étudiants ont terminé leur cursus en juin 2016 avec l’obtention d’un diplôme d’entrepreneur en agribusiness, avant d’entreprendre une année de mentoring pratique dans une entreprise sociale.

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> Voir une vidéo de présentation de SEED réalisée par Videaux (3’40 »)

« Le problème de la pauvreté est un problème de déconnexion » affirme Luis Oquiñena, le directeur général de Gawad Kalinga, « c’est notre déconnexion avec la jose-luis-oquinena-the-problem-of-poverty-is-the-problem-of-disconnectionterre, les pauvres et même des uns avec les autres qui nous maintient en situation de pauvreté. Il faut raviver la fierté d’être paysan, on parle d’ailleurs d’entrepreneur agricole, rendre confiance aux jeunes dans leurs propres capacités et générer des collaborations entre eux. »

Shanon Khadka, qui anime l’ensemble des projets de la Ferme enchantée et de SEED ajoute : « Une disruption dans notre système éducatif était nécessaire si nous voulions intégrer les jeunes des campagnes et en faire de vrais entrepreneurs. A leur intelligence naturelle, il faut y ajouter la confiance, l’estime de soi, des compétences et du sens commun. Tout est testé et pratiqué sur le terrain. Nous devons aussi construire leur caractère, leur inculquer le sens de l’excellence, de la qualité et de l’intégrité. Les valeurs d’honnêteté, de dur labeur et d’humilité sont le fondement des connaissances et des compétences que nous pouvons transmettre»

La présence d’un grand nombre de stagiaire étrangers, notamment français est un grand plus dans le programme de formation. On pense évidemment à l’apprentissage de l’anglais et du français, une découverte pour ces jeunes qui ne parlaient souvent que le tagalog en arrivant. Mais le premier enseignement qu’en retire les étudiants de SEED, c’est d’expérimenter qu’ils sont les égaux de ces européens à la peau claire, trop souvent mis sur un piédestal, car quand il s’agit de travailler dans les champs ou d’élever des animaux, les rôles s’inversent et ce sont eux qui deviennent les professeurs de ces savoir-faire qui ne sont pas enseignés dans les grandes écoles. Cette co-opération entre des mondes et des expertises différentes permet d’aller plus loin dans le développement des entreprises pour qu’elles changent d’échelle.

logo-gawad-kalinga-europe> Le lien avec les volontaires français est canalisé à travers Gawad Kalinga Europe, animé par Olivier Girault et une équipe dynamique et engagée ! > Infos ici

human-nature-plush-play-rags2richesLes exemples d’entreprises sociales ayant trouvé leur modèle de croissance commence à apparaître. Dans un article précédent, je m’étais notamment fait l’écho de Human Nature, première multinationale sociale de produits cosmétiques bio ou des peluches Flush & Play > voir ici l’interview de Dylan Wilk et de Fabien Courteille. La visite de Rags 2 Riches, entreprise de sacs à main artisanaux et autres accessoires tissés montre qu’en travaillant des produits de « classe mondiale » élaborés avec cinq top designers philippins, une entreprise sociale peut changer d’échelle, être distribuée dans les meilleurs centres commerciaux et sur Internet tout en permettant l’intégration de nombreuses femmes des communautés GK.

C’est néanmoins à travers le témoignage des premiers pas d’un jeune entrepreneur que je souhaite illustrer la formation-action de SEED car c’est l’axe de développement de Gawad Kalinga pour les années à venir.

Danilo Ablen Oh GK!
A 20 ans, Danilo Ablen est étudiant en deuxième année de SEED. Il est également le co-fondateur de l’entreprise sociale OHGK ! qui fabrique et distribue une boisson saine et rafraîchissante concocté à partir de quatre ingrédients naturels cultivés sur place : origan, miel, gingembre et calamondin (petit citron vert typique des Philippines). Il gère également les activités de pisciculture de GK Enchanted Farm avec l’élevage de poisson-chat et de tilapia, le poisson le plus consommé au monde ! « À la ferme, nous nous inspirons du fameux proverbe chinois : ’’Donne à un homme un poisson et il le mangera en un jour, apprend à un homme à pêcher et il n’aura plus jamais faim.’’  C’est ce que nous pratiquons en enseignant aux gens comment élever des poissons afin qu’ils puissent se nourrir. »

Ses deux engagements liés à l’alimentation sont liés à son histoire personnelle comme il en témoigne : « En 2009, le typhon Ondoy (Ketsana) a complètement détruit notre maison. Avec ma famille, nous vivions accroupis sous un pont. Nous étions quatre frères et sœurs, mais deux sont décédés puis mon père est parti. Pour survivre, j’ai dû voler, mentir, tricher et parfois, je recueillais les restes de nourriture des restaurants car c’était la façon la plus facile de nous alimenter. Nous avons été traités comme des ordures de sorte que nous n’avons jamais cru que nous étions de ‘’bonnes personnes’’, capables d’autre chose.

 Ma rencontre avec Gawad Kalinga en 2010 a tout changé. Aujourd’hui, mon rêve est de sortir ma famille de la pauvreté grâce à l’entrepreneuriat social. Je peux témoigner de la manière dont GK transforme la vie des gens, en commençant par ma propre transformation. Nous pouvons semer la vie si nous commençons à agir maintenant. Peu importe que nous soyons jeunes ou vieux, riches ou pauvres : si nous commençons à penser davantage à l’autre et moins à nous-mêmes, nous avons un pouvoir extraordinaire de nous mettre debout et de diffuser un esprit de solidarité qui en inspirera beaucoup d’autres. »

bayani-brewPour le développement de sa boisson OH GK !, il peut compter sur l’expérience et le réseau de distribution de Bayani Brew, la « boisson des héros », un ice tea aux ingrédients bios et locaux qui a démarré à la Ferme Enchantée et produit aujourd’hui plus d’un million de bouteilles tous les mois.  C’est aussi cela un écosystème innovant…

Global Social Business Summit : le rendez-vous des nouveaux possibles

Je termine cet extrait de mon carnet de voyage par ce qui a initialement motivé mon séjour philippin : la participation à la quatrième édition du Social Business Summit. Cette conférence rassemble chaque année l’ensemble des parties prenantes Gawad Kalinga pour promouvoir l’entrepreneuriat social. Dans le centre de convention Hyundai, plus de 500 participants venus d’une vingtaine de pays ont assisté durant 3 jours à des conférences, témoignages, démonstrations, ateliers ou pitch de projets des étudiants SEED.

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Le thème de cette année était  « Social Market : Disruption pour une prospérité partagée, maintenant ! » En introduction, Tony Meloto invitait chacun à innover et à devenir acteur du changement pour canaliser les transformations actuelles de notre monde vers une prospérité mieux partagée entre les différentes couches sociales de nos sociétés. « Dans une approche top-down, les pauvres restent les objets de notre charité. Nous leur donnons un peu mais finalement acceptons qu’ils vivent dans la misère. C’est cette manière de voir qu’il faut complètement changer. Ce n’est pas d’abord ce que nous faisons pour les autres que nous devons transformer mais ce que nous faisons de nous-mêmes. Pour être présent aux autres. Pour être une ’bonne personne’. Et construire un monde plus sûr, plus inclusif et plus heureux. »

Des très riches et des très pauvres, des sans-éducations et des étudiants des meilleures universités, le Social Business Summit de la Ferme enchantée est vraiment un lieu de ‘rencontres improbables’ entre étudiants, futurs entrepreneurs, investisseurs, professeurs d’université et des partenaires malaisiens, indiens, australiens et beaucoup de français.

Tony Meloto a réussi à réunir autour de la vision GK un ensemble varié de personnes qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer. Il insiste en particulier sur la collaboration avec les entreprises privées, plus de 500 responsables sont en lien avec lui. Ce sont ces partenariats qui autorisent des projets ambitieux : « Nous nous rendons compte que le ‘big business’ est un ami du développement et nous allons au-delà de la responsabilité sociale des entreprises. La RSE nous a aidés à construire beaucoup de nos programmes de logement, d’éducation et de santé. Mais nous réalisons que nous devons passer de la RSE à l’investissement social pour développer ensemble l’entrepreneuriat social. Les entreprises artisanales, de petite taille, sont évidemment utiles, mais nous commencerons à relever cet immense défi qu’est la pauvreté quand les grandes entreprises entreront dans la partie. »


miracles-of-solidarity-gk-annual-report-2016Le Rapport annuel 2016 de Gawad Kalinga met en avant des histoires d’espérance et de transformation durable : > le rapport ‘Miracles of Solidarity’ est téléchargeable ici. J’étais très heureux d’y découvrir l’importance qu’avait eue pour Tony sa visite au Togo en décembre 2015, où j’avais eu la joie de l’accompagner pour découvrir la ferme agropastorale Sichem d’Antoine Dzamah, le projet ANGE initié par Gabriel Amouzou ainsi que la ferme Songhaï au Bénin.

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Le prochain livre de Tony Meloto traitera de l’importance de la présence et de son pouvoir pour faire changer la vie des gens, notamment les plus démunis. « Il y a absence d’amour là où il y a absence de présence » rappelle-t-il souvent. C’est finalement cette qualité de présence que je retiens en synthèse de ce voyage apprenant, elle transforme profondément le regard et l’envie d’être un acteur engagé pour humaniser le monde.

Salamat !

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Transformation managériale : voici venu le temps du cadre moins encadrant sortant du cadre !

Expectra (groupe Randstad) est le leader en France de l’intérim spécialisé et du expectra-groupe-randstad-etre-cadre-en-2017recrutement en CDI de cadres et agents de maîtrise. Une newsletter mensuelle permet aux près de 200.000 abonnés, principalement responsables Ressources humaines, de creuser les thématiques actuelles de transformation des organisations permet d’alimenter. Ce mois-ci, le dossier traite du thème : Etre cadre en 2017 : quel statut pour quelle réalité ?

Les réflexions et expériences publiées sur ce blog les ont amenés à me demander de rédiger l’édito de ce dossier sur le changement de paradigme en cours au niveau du management de nos organisations. C’est cet article intitulé « Voici venu le temps du changement-de-mentalite-pour-transformer-nos-orgationscadre moins encadrant sortant du cadre » que je reprends ici, en y ajoutant quelques liens vers des articles qui prolongent certaines réflexions…

Les changements de mentalité sont essentiels pour oser transformer nos organisations, les barrières mentales sont en effet souvent le premier frein au changement de nos manières d’être et de faire. C’est ce que reflète le schéma ci-contre.


Sommes-nous en crise ? La « sortie de crise » si souvent annoncée est-elle proche ? Non, nous sommes dans un monde en plein bouleversement, de plus en plus complexe et qui se transforme rapidement. Face à ces profondes mutations, toutes les organisations doivent relever le défi de leur propre réinvention. Une évidence – pas toujours partagée – s’impose : nous ne ferons pas dans les années à venir le métier tel que nous l’avons pratiqué depuis quelques décennies.

Au niveau des entreprises, l’avènement du numérique, des réseaux sociaux et du phénomène d’ubérisation soulignent la fragilité d’institutions qui semblaient jusque-là éternelles… Le rôle du « cadre » dans l’entreprise en est profondément modifié. A la fois de moins en moins encadrant, devant donner un cadre tout en devant sortir du cadre

Sans évolution majeure depuis un siècle, les modes d’organisation et les pratiques de management ont atteint leurs limites. L’insatisfaction gronde, le désengagement progresse au détriment de la performance et du bonheur des collaborateurs. Le schéma majoritaire repose encore souvent sur quelques sachants – les cadres – qui déterminent les grandes orientations et disent ce qu’il faut faire à des exécutants – agents qui ne maîtrisent plus rien.

> voir l’article Le courage du « lâcher prise » ou la liberté des salariés comme remède à la crise

Internet, les réseaux sociaux et les pratiques collaboratives ont accéléré les phénomènes de porosité entre les différents services de l’entreprise et son environnement. Le travail en réseau modifie profondément les organisations où les cadres cherchent encore trop souvent à « organiser l’inorganisable » car, par nature, un réseau ne s’organise pas, il ne peut que se coordonner. Le modèle pyramidal contrôlant à priori des éléments cloisonnés doit aujourd’hui faire place à la coordination en temps réel de réseaux de collaborations décentralisés. C’est une révolution organisationnelle !

> voir l’article autour des regards croisés de Marc Halévy sur le devenir de nos organisations

Un impératif : libérer les énergies

Face à l’impérieux besoin de réinvention des métiers de l’entreprise, l’implication de tous les collaborateurs est plus que jamais nécessaire. Il faut libérer les énergies et faciliter l’émergence des idées parmi les acteurs. Halte à la « double vie » des salariés : adultes responsables dans leur vie privée et infantilisés au travail ! L’engagement et la responsabilité dont font preuve les femmes et les hommes de nos organisations dans leur vie privée doivent nous rassurer sur cette énergie créative latente qui ne demande qu’à s’exprimer pour contribuer à faire prendre à temps les virages qui s’imposent.

> voir l’article En finir avec la « double vie » des salariés : adultes responsables dans leur vie privée et infantilisés au travail.

De donneur d’ordres à jardinier de l’écosystème

Le « courage du lâcher-prise » devient ainsi la qualité essentielle du manager pour changer de rôle et miser sur la responsabilité et la créativité de chaque collaborateur. Moins encadrant, le manager doit prioritairement veiller à créer les conditions du déploiement de chaque collaborateur. De même qu’on ne fait pas grandir une fleur en lui tirant dessus, il s’agit d’être le jardinier qui veille à ce que le terreau de la croissance soit optimal.

> Voir l’article Salariés libérés, performance assurée ? et celui sur La présomption de confiance comme base du management

Fixer un cap, le nouveau cadre à donner

Face à l’incertitude d’un contexte très mouvant, les boussoles traditionnelles ne permettent plus de garder le cap. La feuille de route de l’entreprise doit être guidée par une vision de long terme, une raison d’être évolutive. Cela requiert là-aussi d’un profond renouvellement du leadership. Le manager doit être le porte-parole d’une vision inspirante pour mieux répondre à la quête de sens individuelle et à l’envie d’engagement, de liberté et de responsabilité de chaque collaborateur.

> Voir l’article Vers des communautés de travail inspirées : réinventons nos organisations !

Oser renoncer au confort de la dictature du court terme

C’est le symptôme le plus visible de l’inadéquation du management aux évolutions du travail : les agendas sont devenus fous ! Pourtant l’écoute des signaux faibles et la proximité managériale sont essentielles. Cela requiert d’avoir de la « bande passante disponible » c’est-à-dire du temps matériel et de l’espace intérieur. Même si garder la tête dans le guidon peut sembler rassurant quand l’horizon est bouché, ouvrir de nouveaux possibles pour l’entreprise requiert sortir du connu. Les cadres doivent passer de l’égosystème à l’écosystème pour réinventer leur avenir.

« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » disait Gandhi, une invitation à oser aller à contre-courant à partir d’un cadre personnel et intérieur…

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Les coups de cœur de l’éditorialiste du blog Expectra invitent à d’autres ouvertures et à prolonger le changement de regard.

Les nouvelles qui nous parviennent de notre monde en pleine mutation sont parfois loin de nous donner des raisons d’espérer. C’est même l’overdose de mauvaises nouvelles ! Pour ne pas tomber dans le piège du cynisme et participer nous-mêmes à la sinistrose ambiante, il faut savoir faire l’effort de porter notre regard sur ce qui marche et nous donne envie d’agir !

Sans édulcorer la réalité parfois difficile, sans chercher une positive attitude à tout-va, porter le regard sur ces héros du quotidien qui réveillent en nous un enthousiasme dépourvu de naïveté est une réponse possible qui nourrit notre « envie d’autre chose. »

C’est ce que proposent deux médias inspirants, mes coups de cœur pour les lecteurs du blog Expectra et que j’avais eu la chance de recevoir pour une soirée Vivre l’économie autrement > voir l’article sur les héros anonymes et porteurs de solutions qui donnent envie d’agir

le-projet-imagine-logoLe Projet Imagine est un média philanthropique lancé en 2009 par la journaliste Frédérique Bedos. Ce « Journalisme avec Espérance » a pour ambition d’encourager chacun à bâtir ensemble le meilleur.

Le Projet Imagine produit des films impactants pour les rendre accessibles au plus grand nombre par leur diffusion dans les médias du monde entier. Avec un esprit résolument tourné vers l’avenir, ces films montrent l’urgence à s’emparer des sujets par nous-mêmes, à se réapproprier nos vies, nos destins et à agir là où nous sommes, avec nos compétences, nos moyens.

> voir l’article Projet Imagine ou l’histoire de ces héros anonymes, combattants de l’espoir pour changer le monde…

le-souffle-du-nord-pour-le-projet-imagineLe Projet Imagine a été médiatisé récemment par la participation au Vendée Globe d’un monocoque de 60 pieds « Le Souffle du Nord pour Le Projet Imagine » C’est grâce à la mobilisation d’un réseau d’entreprises et de particuliers du Nord de la France qui ont sponsorisé l’aventure en choisissant de rester dans l’ombre pour mettre dans la lumière les Héros Imagine, avec un grand colibri de 9 mètres de haut qui invite chacun à « faire sa part ».

sparknews-logoL’autre média inspirant est SparkNews lancé par Christian de Boisredon en 2012, une plateforme multimédia pour regarder l’actualité sous l’angle des solutions avec le partage de vidéos sur ces projets qui fonctionnent.

Sparknews est un amplificateur d’impact social international, au carrefour entre des porteurs de projet innovants et des médias leaders. Les milliers de reportages du site présentent des solutions innovantes et inspirantes qui nous donnent envie de passer à l’action !

> voir l’article SparkNews, susciter l’envie d’agir et de trouver des solutions

 

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Réseau Eco Habitat : l’innovation sociale au service de la rénovation énergétique des plus démunis

Sous différentes perspectives et des exemples variés, nous avons illustré combien l’innovation sociale pouvait s’avérer un puissant levier de transformation pour les entreprises. Les activités Social Business constituent même de véritables laboratoires d’innovation pour réinventer leurs métiers de demain. Par ailleurs, on constate aujourd’hui que la plupart des solutions sociales innovantes dépassent les frontières traditionnelles entre les différents acteurs : État, entreprises privées et organisations sans but lucratif. La co-création entre acteurs historiquement cloisonnés c’est-à-dire l’hybridation du social et du business pour mieux servir les populations en difficulté est présentée comme inéluctable dans un rapport Ashoka-Accenture sur ce nouveau type d’alliances.

Dans un monde complexe qui bouge de plus en plus vite, les entreprises ne sont pas les seules organisations devant se réinventer. Dans un contexte de baisse des subventions publiques, c’est en particulier le cas des acteurs associatifs. L’exemple de l’association Réseau Eco Habitat est révélateur de nouvelles manières de construire des solutions efficaces pour lutter contre la pauvreté, dans le domaine de la rénovation énergétique.

franck-billeau-reseau-eco-habitatL’association Réseau Eco Habitat démarre en août 2014 à l’initiative d’un « utopiste pragmatique », un « passionné patient », Franck Billeau. J’ai eu la chance de faire sa connaissance par l’intermédiaire d’amis communs, entrepreneurs du changement tout comme lui, Michel Pernot du Breuil de SENS (Solidarités Entreprises Nord Sud) et François Marty du groupe d’insertion calaisien Le Chênelet.

Après une quinzaine d’années comme délégué départemental puis inter-régional du Secours Catholique en Picardie où il côtoyait de nombreuses familles en précarité, Franck décide de quitter la structure de Caritas France pour lancer une start-up sociale sur la base d’un triple constat :

  1. De nombreux ménages vivent en situation de vulnérabilité énergétique. Ils reçoivent à ce titre chaque année diverses aides pour payer une partie de leur facture énergétique, notamment avec le dispositif « chèque énergie » (qui remplace les tarifs sociaux de l’énergie, plafonné à 250€);
  2. Des mécanismes de financement sont disponibles pour la rénovation énergétique mais peu utilisés car complexes à activer de manière coordonnée;
  3. Des entreprises du bâtiment sont en recherche d’activités et de chantiers à réaliser.

Réseau Eco Habitat veut agir comme un « assemblier solidaire » visant à articuler les actions de ces trois types d’acteurs pour construire une solution plus durable basée sur des écomatériaux qui améliore les conditions de logement et le confort de ces propriétaires occupants et fasse baisser leur facture d’énergie.

« Nous accompagnons des familles en difficulté à isoler leur logement pour leur permettre in fine de faire des économies. On préfère qu’elles puissent payer leurs fournisseurs d’énergie plutôt que d’être obligées de réduire leur consommation en baissant le chauffage et de devoir demander des aides pour ne pas être privées de cette ressource élémentaire pour leur confort. C’est plus durable, digne et économique… » indique Franck Billeau.

L’association déploie un dispositif d’accompagnement du projet de rénovation en préconisant des solutions techniques et financières au travers d’un réseau de bénévoles de Caritas France (Secours Catholique) qui créent des relations de confiance avec les habitants. Elle permet de créer des solidarités de proximité avec les acteurs de l’amélioration de l’habitat et promeut un réseau d’entreprises artisanales, sensibilisées aux écomatériaux.

Dans cette vidéo (2’46’’), Franck Billeau illustre les situations concrètes auxquelles Réseau Eco Habitat est confronté et les solutions durables que le réseau cherche à mettre en œuvre en mettant en lien l’ensemble des acteurs pour rendre efficace le projet d’amélioration de l’habitat de ces ménages en grande précarité. 

programme-habiter-mieux-anahLes mécanismes de financement des chantiers de rénovation énergétique varient en fonction des zones géographiques et de chaque situation. Généralement, l’ANAH et son programme Habiter Mieux finance à hauteur de 60% les travaux, complété selon les cas par la Région, le Département, les Communes et diverses fondations afin que le reste à charge puisse être assumé par l’habitant. Leur activation et coordination restent néanmoins complexes et dans tous les cas inaccessibles pour les habitants en ayant le plus besoin.

L’exemple de la rénovation effectuée dans la maison de Ginette offre un exemple concret :exemple-logement-ginette

Précarité énergétique : un fléau qui touche 20% des ménages français !

La précarité énergétique est un phénomène complexe dont les déterminants sont variés : l’approche par les difficultés budgétaires doit être complétée par celle du ressenti des ménages pour caractériser l’inconfort thermique. La définition légale de la loi Grenelle 2 précise : « est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat »

La règle du Taux d’Effort Energétique (TEE) qui considère en situation de précarité les ménages dont l’énergie représente plus de 10 % de dépenses est simple et permet de montrer l’ampleur des problèmes à résoudre. Elle n’est cependant pas suffisamment fine pour mettre en lumière toutes les situations et les politiques correspondantes à mettre en logo-onpeœuvre. En lien avec l’ADEME, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) créé en 2011 cherche à rendre compte de la variété des situations et de suivi des mesures. Il est présidé par Jérôme Vignon, par ailleurs président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). Les chiffres-clés sont publiés dans cette étude de novembre 2016.

precarite-energetique-en-chiffresL’Enquête logement réalisée par l’INSEE en 2013 laisse apparaître une problématique massive de ménages concerné par au moins un indicateur d’inconfort thermique et de difficultés financières : 5,8 millions de ménages souffrent de précarité énergétique, ce qui représente 1 foyer sur 5, soit 12 millions de personnes. La précarité énergétique est par ailleurs concernée par l’effet « double peine » bien étudié par la Chaire Entreprise & Pauvreté d’HEC (> voir ici) : les 20 % de ménages les plus pauvres consacrent à l’énergie une part de budget 2,5 fois plus élevée que les 20 % les plus riches selon l’ADEME.

Bascule progressive dans la précarité et l’isolement : la situation de Denis

Au-delà des chiffres, l’histoire de Denis Rocquencourt nous plonge dans celle de beaucoup d’autres foyers dépensant trop pour se chauffer ou ayant froid faute de pouvoir le faire. Plombier chauffagiste à son compte, Denis a acheté un pavillon dans un lotissement paisible de Coudun, près de Compiègne dans les années 70, à une époque où l’isolation n’était pas systématique et l’énergie ne coûtait pas cher. Victime d’un accident du travail, il a dû arrêter son activité. « J’avais encore les traites de la maison à payer et j’ai dû encaisser un divorce », raconte-t-il. Des épreuves en cascade, une longue dépression, l’isolement progressif,  l’homme s’est littéralement renfermé, les volets clos devenant une protection contre le froid mais aussi le monde extérieur. Il vit reclus dans son salon, seule pièce qu’il tente de chauffer un peu l’hiver avec un feu de cheminée. A 65 ans, c’est grâce à l’amitié et au soutien moral de bénévoles du Secours Catholique qu’il entrevoit une perspective nouvelle avec la programmation d’un chantier de rénovation de son logement coordonnée par Réseau Eco Habitat.

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Crédits photos : @Steven Wassenaar / Secours Catholique

Depuis que les travaux sont prévus, Denis a replanté quelques pieds de tomates, lui qui entretenait autrefois un grand potager. « Le jour où je pourrai rouvrir mes volets et fenêtres, la lumière entrera. Je respirerai un grand coup et j’aurai la satisfaction de me dire : ça y est, c’est fait, je vais vivre ! »

Retrouvez le témoignage complet de Denis dans cet article publié en novembre 2016 sur le site du Secours Catholique.

TSA #78.jpgLe magazine TSA (Travail Social Actualités) de décembre 2016, propose un reportage très complet sur l’approche de Réseau Eco Habitat.  Dans l’article « Un habitat rénové accessible à tous » le parcours de Denis est évoqué ainsi que l’expérience d’Hélène Aussenard, assistante maternelle de Villes-Cotterêt dans l’Aisne, célibataire et mère de trois enfants dont le chantier de rénovation vient de se terminer > à télécharger ici.

« Quand l’énergie vient à manquer », un docu-fiction très pédagogique

Ce court-métrage de fiction d’une vingtaine de minutes met en scène les résultats de recherches sociologiques menées par le département Recherche & Développement d’EDF. De manière très didactique, Béatrice Hammer, sociologue et réalisatrice, montre comment une famille peut progressivement basculer dans la précarité énergétique et les conséquences que cela entraîne.

Les conséquences sanitaires et sociales de la précarité énergétique

Le témoignage de Denis et l’histoire relatée dans « Quand l’énergie vient à manquer » illustrent bien les autres conséquences sociétales derrière la difficulté de payer ses factures. L’expérience de terrain de Franck Billeau le souligne : « Les impayés d’énergie, en constante augmentation, ne sont que la partie émergée de l’iceberg : les visites que nous effectuons au domicile des ménages en difficulté révèlent souvent que les familles se privent pour ne pas avoir des factures trop élevées. Les conséquences de la précarité énergétique sont aussi dévastatrices sur le plan social. La honte de vivre dans un logement « dégradé » génère de l’isolement, du repli sur soi. Une mauvaise image de soi et la perte de confiance peuvent entrainer de l’absentéisme au travail ou à l’école. La détérioration des conditions de santé des membres de la famille est souvent vérifiée. »

Le poids de l’énergie – incluant chauffage, eau chaude et transport – dans les dépenses des ménages n’a cessé de progresser durant ces dix dernières années. Entre 2007 et 2015, le budget moyen des ménages concernant l’énergie du logement a ainsi augmenté de plus de 23 %. Il est donc urgent d’agir de manière durable. Comme l’indique Franck Billeau paraphrasant Confucius invitant à apprendre à pêcher à l’homme qui a faim plus que de lui donner un poisson : « Quand un homme a froid, mieux vaut isoler son logement que de l’aider à le chauffer sans fin»


La manière d’intervenir de Réseau Eco Habitat  en coordonnant l’intégralité de la chaîne reste pionnière même si elle a démontré son efficacité. L’association est d’ailleurs la-france-sengage-laureat-2015lauréat 2015 du label La France s’engage (label de la Présidence de la République qui récompense les projets les plus innovants au service de la société) Néanmoins, ne rentrant pas dans les cases habituelles des opérateurs des programmes soutenus par les Collectivités publiques, Réseau Eco Habitat fait le choix d’innover dans les modèles économiques pour déployer son activité. Le plan pilote en Picardie pourrait alors s’étendre au niveau national. 40 chantiers sont prévus en 2017, une centaine en 2018 et 300 chantiers annuels en 2020.

Dans cette recherche de nouveaux business modèles, un des enjeux majeurs sera de trouver des partenariats innovants avec des entreprises privées, qui elles-mêmes souhaitent explorer de nouvelles manières de contribuer à l’essor de solutions nouvelles aux problématiques sociétales dans un modèle économique pérenne. Ces business à impact social mis en place par quelques entreprises privées ouvrent ainsi une voie de collaboration pérenne et créatrice de valeur qui favorise l’émergence de modèles hybrides où les acteurs associatifs de terrain peuvent déployer leurs actions de manière efficace et à grande échelle.

Cela permettra-t-il d’être encore plus ambitieux et plus rapide pour que Réseau Eco Habitat puisse coordonner les solutions pour les 40.000 ménages en grande précarité suivis par Caritas ? On peut l’espérer. L’urgence est là. Les solutions aussi. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas… 


 

logo-liloGrâce à la publicité, chacun de nous fait gagner aux moteurs de recherches 30€ par an. Cet argent peut servir des causes utiles, comme Réseau Eco Habitat. En utilisant Lilo comme moteur de recherche, vous avez le pouvoir de contribuer au financement de projets sociaux et environnementaux, en choisissant où va l’argent « que vous générez », essayez-le !  

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Cinq histoires d’animaux pour favoriser l’apprentissage et l’intelligence collective…

Alors que 50% des métiers qui existent aujourd’hui auront disparu dans vingt ans et que les changements s’accélèrent, l’enjeu de l’apprentissage et de l’intelligence collective pour s’adapter en permanence est crucial. A travers cinq histoires d’animaux, nous essayerons d’illustrer combien le bon sens, la responsabilité et le sens commun peuvent contribuer à une évolution « réjouissante »,  comme je l’illustrais dans mon article précédent par cette interrogation visuelle : quelle évolution choisir

A l’instar des fables animalières, ces histoires d’oiseau mandarin, de chatons, de singes, d’éléphant ou encore de grenouille nous aideront à prendre du recul sur nos propres pratiques pour choisir le ‘bon’ sens, ceux ‘uniques’ ou ‘interdits’ ne nous menant nulle part !


« Je peux faire par moi-même donc j’apprends » dit l’oiseau mandarin

Des scientifiques ont étudié l’apprentissage du chant de l’oisillon diamant mandarin. Un premier oisillon est élevé en dehors de la présence de ses congénères mais dispose mandarinde la possibilité d’écouter l’enregistrement du chant d’un adulte de son espèce en actionnant lui-même sa reproduction d’un coup de bec. On observe alors qu’il apprend aussi bien que s’il était avec des congénères. Le taux de restitution du chant enregistré atteint 76%.

En comparaison, les oisillons placés dans une cage voisine et qui ont donc tout aussi bien entendu l’enregistrement du chant actionné par leur semblable obtiennent des résultats très largement inférieurs : adultes, ils ne sauront restituer qu’un chant très pauvre, avec 39 % du chant enregistré. Lorsqu’ils se voient privés d’initiative et d’action dans l’apprentissage, les oiseaux sauront reconnaître le chant entendu mais se montrent incapables de le produire et de l’imiter.

Dans nos organisations, acceptons les tâtonnements, résistons à la tentation de trop montrer comment il faut faire au profit d’espaces d’expérimentation, gage du meilleur apprentissage…

Cette première expérience citée par Jean-Paul Gaillard dans des travaux sur l’apprentissage renvoie vers l’expérience des chatons des chercheurs en sciences cognitives du MIT, Richard Held et Alan Hein. Même si elle remonte à 1958 (diffusée dans un article publié en 1963), l’exemple reste frappant pour illustrer que l’action est dirigée par la perception.


« Je fais donc je sais et je vois » nous indiquent les chatons

Un chaton nouveau-né met quelques jours à ouvrir les yeux et à commencer à voir. Ainsi, les chercheurs ont pris un groupe de chatons peu après la naissance et les ont enfermés dans le noir. Une heure par jour, ils les sortaient à la lumière, mais le groupe était divisé en deux. Une première équipe pouvait circuler normalement et se déplacer dans la pièce tout en tirant une carriole miniature. Les autres chatons se tenaient dans un panier dans la carriole, immobiles. Les deux groupes partageaient donc la même expérience visuelle, mais le second groupe était entièrement passif.

Au bout de quelques jours, les animaux furent libérés. Le premier groupe, celui des “pilotes”, se comportaient normalement et n’eut aucun problème à s’adapter au monde extérieur. A l’inverse, les chats “passagers” se conduisaient comme s’ils étaient aveugles: ils se cognaient sur les objets et tombaient par dessus les bords. N’ayant pas pu interagir avec le monde extérieur, ils ne pouvaient donner du sens à leurs perceptions visuelles.

Ne sous-traitons pas le « travail des jambes » !

knowledge-experienceAinsi l’expérience démontre que la perception n’est pas passive. C’est une activité que le corps met en action. Nous pensons avec notre corps. Nous percevons en agissant. En matière de management de la connaissance et de stratégie d’entreprise, nous tendons à nous comporter en « chatons passagers».  Nous sollicitons experts et consultants pour nous dire comment fonctionne le monde au lieu d’aller le percevoir par nous-mêmes. Nous sous-traitons le travail des jambes. L’approche peut convenir pour des problèmes simples. Mais plus la situation est complexe, plus il importe de ne pas sous-traiter et de rester en prise avec le problème et son évolution. Si nous nous coupons du contexte, comme les chatons de la carriole, nous n’apprenons pas à voir.


« Sortir du connu, changer de paradigme » illustré par les singes et la banane

ayez-le-courage-daller-a-contre-courantCette invitation à aller sur le terrain pour apprendre requiert aussi de sortir de nos certitudes en osant remettre en cause ce qui nous semble être ‘la seule manière de faire’. Après les oiseaux mandarins et les chatons, c’est la parabole des singes qui nous y incite :

Des chercheurs ont placé cinq singes dans une cage. Au milieu de la cage, ils ont placé une échelle avec une banane au sommet. Chaque fois qu’un singe montait sur l’échelle, les chercheurs arrosaient les quatre autres singes avec de l’eau très froide… Après un petit moment, chaque fois qu’un singe essayait de monter sur l’échelle, les quatre autres l’en empêchaient et le battaient. Après un bout de temps, aucun des cinq singes ne tentait de monter sur l’échelle pour aller manger la banane.

Les chercheurs ont ensuite essayé de substituer l’un des singes avec un nouveau singe. Evidemment, la première chose que le nouveau singe a tenté de faire, c’est d’escalader l’échelle pour manger la banane. Les quatre autres singes l’ont alors attrapé et battu  pour l’en empêcher… Quelques essais plus tard, le nouveau membre ne tentait plus de monter sur l’échelle, même s’il ne comprenait pas trop pourquoi.

Les chercheurs ont ensuite substitué un deuxième singe. La même chose s’est produite. Le premier singe a également participé et a aidé ses compagnons à frapper le deuxième singe lorsqu’il tentait de monter sur l’échelle. Une fois de plus, les chercheurs ont substitué un troisième singe. Ils ont pu observer le même résultat, de même qu’en substituant un quatrième singe.

Après avoir substitué le cinquième singe, aucun des singes du groupe n’avait reçu une douche froide. Malgré cela, les agressions étaient répétées si le cinquième singe tentait de monter sur l’échelle…

Tous s’interdisent maintenant de prendre la banane ; tous ignorent pourquoi. Pourtant, tous sont les garants zélés du respect de cette interdiction. De même des cultures d’entreprise fortes, des habitudes ancrées depuis des décennies, amènent à cette impossibilité de remettre en cause certaines pratiques dans  nos organisations. Il s’agit de faire taire cette phrase : « Je ne sais pas, c’est la façon dont les choses fonctionnent ici ! » Les nouveaux arrivés dans une organisation peuvent ainsi nous aider à casser nos schémas.

Et pour voir cette parabole en vidéo :


Développer l’écoute sélective de la grenouille

Ouvrir des voies nouvelles demande d’accepter d’emprunter un chemin peu fréquenté. Néanmoins, on y retrouve de nombreux commentateurs, souvent pour nous expliquer pourquoi cela ne fonctionnera pas, que ce n’est pas le bon moment, « à quoi bon ? »… Dépasser le scepticisme permanent voire le cynisme ambiant est essentiel. L’écoute ‘sélective’ de la grenouille peut nous y aider…

Il était une fois un peuple de grenouilles qui organisa un concours. L’objectif était d’arriver en haut d’une grande tour. Beaucoup de supporters se rassemblèrent pour voir la course et soutenir les participantes. Et la course commença.

Mais personne n’y croyait vraiment. Une grenouille ça n’est pas fait pour grimper… aucune n’atteindra jamais la cime. Les gens disaient : Ce n’est pas la peine, elles n’y arriveront jamais ! Les grenouilles commencèrent à se résigner, d’autres à tomber. dont-be-afraid-to-be-different-to-make-a-differenceMais quelques unes continuaient…
 Et les gens disaient encore : Ce n’est pas la peine, elles n’y arriveront jamais !

Et les grenouilles petit à petit s’avouèrent vaincues. Il y en avait une qui insistait, insistait.

A la fin, il n’en resta qu’une qui, avec un énorme effort, atteignit le haut de la tour. Les autres voulurent savoir comment elle avait fait. Elles s’approchèrent pour le lui demander.

Et on découvrit… qu’elle était sourde !


« Je ne vois qu’une partie du tout, les autres m’apportent la vision globale » suggère la rencontre d’un éléphant par six aveugles

6-ou-9La fable indienne des aveugles et de l’éléphant nous offre une cinquième clé de l’intelligence collective. Elle nous invite à sortir de nos aveuglements, de nos visions autocentrées pour nous enrichir du point de vue et de la perception de l’autre. L’autre, différent de moi, complète ma vision globale de la situation.

Un jour de grand soleil, six aveugles originaires de l’Hindoustan, instruits et curieux, désiraient, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir…

Le premier s’approcha de l’éléphant et, alors qu’il glissait contre son flanc vaste et robuste, il s’exclama : « Dieu me bénisse, un éléphant est comme un mur ! ».

Le deuxième, tâtant une défense s’écria « Oh ! Oh ! rond, lisse et pointu ! Selon moi, cet éléphant ressemble à une lance ! »

Le troisième se dirigea vers l’animal, prit la trompe ondulante dans ses mains et dit : « Pour moi, l’éléphant est comme un serpent. »

Le quatrième tendit une main impatiente, palpa le genou et fut convaincu qu’un éléphant ressemblait à un arbre !

Le cinquième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit : « Même pour le plus aveugle des aveugles, cette merveille d’éléphant est semblable à un éventail ! »

Le sixième chercha à tâtons l’animal et, s’emparant de la queue qui balayait l’air, perçu quelque chose de familier : « Je vois, dit-il, l’éléphant est comme une corde ! »

Alors, les six aveugles discutèrent longtemps et passionnément, tombant chacun dans un excès ou un autre, insistant sur ce qu’il croyait exact. Ils semblaient ne pas s’entendre, lorsqu’un sage, qui passait par-là, les entendit argumenter.

– « Qu’est-ce vous agite tant ? » dit-il.

– « Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord pour dire à quoi ressemble l’éléphant ! »

Et chacun d’eux lui dit ce qu’il pensait à ce sujet. Le sage, avec son petit sourire, leur expliqua : « Vous avez tous dit vrai ! Si chacun de vous décrit l’éléphant si différemment, c’est parce que chacun a touché une partie de l’animal très différente ! L’éléphant à réellement les traits que vous avez tous décrits. »

« Oooooooh ! » exclama chacun. Et la discussion s’arrêta net ! Et ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité, car chacun détenait une part de vérité.

Dépasser son propre point de vue, nécessairement partiel et limité, est un vrai processus de maturité. Dans nos réunions de travail, susciter les espaces d’échange authentique permettant aux différentes « parts de vérité » de s’exprimer est la clé pour faire, ensemble, un ‘tout’ plus riche.


Ubuntu, je suis parce que nous sommes

Une histoire du sud de l’Afrique synthétise bien l’un des enjeux principaux du vivre ensemble, et par là-même, des manières efficientes de travailler en mode collaboratif :

Un anthropologue avait caché des fruits dans un panier près d’un arbre et a dit à des enfants d’une tribu africaine qui l’entouraient, que le premier qui les trouverait gagnerait tous les fruits. Quand il donna le coup d’envoi, tous les enfants se sont donné la main et ont couru ensemble pour trouver le panier, puis ils se sont assis tous ensemble pour déguster les fruits.

Lorsque l’anthropologue leur a demandé pourquoi ils avaient couru ainsi alors qu’un seul aurait pu gagner tous les fruits, ils répondirent « UBUNTU », expliquant «  Comment l’un de nous pourrait-il être heureux si tous les autres sont tristes ? »

ubuntu-je-suis-parce-que-nous-sommesUBUNTU, en culture xhosa, signifie: « Je suis parce que nous sommes. » L’idée d’ubuntu est celle d’une incitation réciproque, d’un partage qui construit mutuellement les êtres.  Il faudrait plusieurs mots comme humanité, partage, inventer, construire, mettre ensemble, pour traduire le seul mot ubuntu.

Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap en Afrique du Sud et Prix Nobel de la Paix en 1984, a remis au goût du jour à la fin de l’apartheid ce concept présent dans toutes les langues bantoues, en inspirant la politique
de réconciliation nationale : « Quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand — et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés. »

Parabole de la  « société en réseau »

Le concept ubuntu nous enseigne sur une des caractéristiques de nos sociétés en réseau. Une autre manière d’illustrer les enjeux pour atteindre plus d’efficacité dans nos organisations complexes est la conception du TGV.

Traditionnellement, les trains fonctionnaient sur la base d’une locomotive qui transforme l’énergie électrique captée en force motrice pour tirer le reste des wagons qui lui sont attelés. La vitesse de croisière d’un train Grandes Lignes était alors de 150 km/h.

Le principal défi pour les concepteurs d’un TGV qui atteindrait une vitesse de 300 km/h était donc de doubler la vitesse de déplacement du train sans multiplier par deux la force motrice déployée et donc l’énergie dépensée… Pour cela, la solution technique obligea à un changement du rôle traditionnel de la locomotive qui tire l’ensemble en ‘capteur-redistributeur’ de l’énergie afin de relayer la création de la force motrice dans les boggies de chacune des rames du train. La répartition des forces dans une mise en réseau des puissances en présence permit ainsi d’atteindre une vitesse deux fois supérieure pour une énergie pratiquement identique.

Le fait que tous les boggies du TGV soient moteurs assure une adhésion du TGV sur les voies ferrées beaucoup plus forte que dans le cas d’un train seulement tiré par une locomotive. D’où une sécurité plus grande, absolument nécessaire aux grandes vitesses.

Les wagons du TGV sont « solidaires », comme une chaîne, souplesse des articulations et solidité des liens combinées, ce qui permet de limiter les dégâts lors d’un déraillement comme l’ont démontré plusieurs accidents de ce type.

Cette métaphore dit des enjeux du travail en réseau dans les entreprises, où la mise en route de « moteurs » dans différents services et départements permet une accélération du rythme de l’ensemble.


Ainsi, pouvoir faire par soi-même pour apprendre comme l’oiseau mandarin, enrichir nos perceptions par un déplacement sur le terrain du réel comme les chatons, sans sous-traiter le ‘travail des jambes’ ouvre la possibilité à de nouveaux possibles quand nous acceptons de remettre en cause les règles inconscientes héritées des singes précédents. Ne pas écouter les oiseaux de mauvais augure comme la grenouille sourde nous permet de tracer notre route vers l’impossible, surtout si nous n’oublions pas de nous décentrer de notre vision exclusive pour nous enrichir de la vision complète de l’éléphant que nos aveuglements peuvent réduire à une seule de ses parties. Le ‘tout’ plus riche que l’ensemble des parties, c’est aussi mettre d’actualité l’ubuntu, ce concept des langues bantoues, où la finalité exprime un ‘je suis parce que nous sommes’ qui conserve l’identité propre de chacun. Pour des organisations efficaces, allumons les moteurs redistribués de la responsabilité et de l’engagement pour aller plus vite, plus sûr, sans dépenser plus d’énergie.

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‘En vue de quoi ?’ ou la quête de sens comme moteur d’une société en plein renouvellement

De plus en plus de stratégies d’entreprise ou de politiques publiques échouent et ne sont pas comprises. L’adhésion à des projets ‘qui viennent d’en-haut’ est de plus en plus faible. A un niveau plus personnel, l’enthousiasme est souvent le grand absent au moment de démarrer une journée de travail. Le désengagement des salariés concernerait près de 9 personnes sur 10 (voir notamment les résultats de l’enquête Gallup).

L’une des raisons en est simple : notre capacité de vision est émoussée. Nous ne savons plus regarder. Dans notre monde à l’avenir incertain, garder le nez dans le guidon permet de se rassurer en voyant le bout de sa roue mais cela ne trace pas une trajectoire, un but à atteindre, un sens à l’action… Nous nous berçons d’illusions dans les conventions. Du coup, nous vivons à la périphérie de nous-mêmes. Et nous avons renoncé Un regard peut tout changerà nous poser la question de la finalité de nos existences et de nos actions. Vivre ou survivre, voici une question bien dérangeante quand nous ignorons ‘en vue de quoi’ nous vivons et nous agissons.

Sortir de nos aveuglements pour regarder la réalité du monde avec d’autres yeux est l’invitation principale d’Aubry Pierens dans un ouvrage pertinent d’un « consultant aux conseils impertinents » sorti le 21 avril dernier : Un regard peut tout changer.

Devenir visionnaire, mais oui vous pouvez !

« ‘En vue de quoi ?’ : telle est la question qui ouvre le mieux les yeux. Celle qui guide les leaders. Celle qui inspire les vrais innovateurs. Celle qui fonde les grands projets. Celle qui mobilise les énergies et les talents les plus divers dans une même direction. Celle dont la juste réponse accroît immanquablement les chances de réussite, l’harmonie des organisations et la plénitude des vies » défend le dirigeant de l’agence We ShakeAubry Pierens dans ce livre qui tente de faire bouger les choses. « Comment retrouver le zèle de l’espérance, de la confiance, de l’invention, de l’harmonie sociale et de la réussite partagée ? En devenant visionnaire. »

‘En  vue de quoi ?’, une question minuscule, mais qui a un potentiel atomique pour celui qui aura appris à se la poser, interpelle Aubry Pierens.

En quête de sens, une question de plus en plus d’actualité

La réussite et l’ambition semblent se redéfinir de manière importante. Pendant des décennies, le chemin d’une vie réussie était synonyme d’ascension dans la vie professionnelle, d’échelons à gravir dans une organisation valorisant les succès sans laisser de place aux questions plus personnelles et existentielles. Une nouvelle génération en quête de sens arrive sur le marché du travail et rejoint les questions existentielles de ceux qui après des années d’expérience cherchent un souffle nouveau dans un modèle arrivé à bout de course…

Film En quête de sensLe succès de deux films récents illustre cette recherche d’unité entre valeurs personnelles et engagement citoyen. Le film ’En quête de sens’ de Nathanaël Coste et Marc de la Ménardière (voir son TEDxLille) est l’histoire de ces deux amis d’enfance aux trajectoires opposées qui se retrouvent après quelques années et décident d’aller questionner la marche du monde. A l’origine, Nathanaël, réalisateur de documentaires sur des projets à impact positif, a l’intuition que filmer le déclic et la prise de conscience progressive de son ami Marc qui vivait jusqu’alors la belle vie d’un expatrié dans une multinationale à New York, constituait un fil rouge inspirant pour d’autres… Caméra au poing, il filme alors son voyage initiatique sur plusieurs continents à la rencontre de personnes inspirantes comme Vandana Shiva, Pierre Rabhi, Trinh Xuan Thuan, Marianne Sébastien, Hervé Kempf, et autres chamans… Au-delà de nos croyances, ce film aux multiples projections – publiques ou privées – a déjà réuni des centaines de milliers de spectateurs. Ces « ciné-échanges » sont l’occasion d’aborder un thème cher au paysan-philosophe Pierre Rabhi interviewé dans le film : « Il n’y aura pas changement de société sans changement humain. Et pas de changement humain sans changement de chacun. » C’est une invitation à reconsidérer notre rapport à la nature, au bonheur et au sens de la vie.

L’autre film qui propose des solutions et une autre vision de l’avenir « radicalement différente de ce que nous avons connu jusqu’à maintenant » est le documentaire DEMAIN Film Demain de Cyril Dion co-réalisé avec Mélanie Laurent. Il répond aussi à ce déficit de vision d’avenir, de projet politique, de réalisations qui donnent de l’enthousiasme et de l’espoir. On retrouve certains témoins inspirants de ‘En quête de sens’ avec un accent mis sur des réalisations à impact positif, mises en place par des citoyens, et qui donnent envie d’agir !

Suite à la publication dans la revue scientifique Nature d’une étude de 22 chercheurs qui annonce la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100 [cliquer ici pour accéder à Approaching a state-shift in Earth’s biosphere], Cyril Dion, par ailleurs co-fondateur en 2007 avec Pierre Rabhi du mouvement Colibris – Faire sa part et l’actrice Mélanie Laurent sont partis avec quatre autres trentenaires enquêter dans une dizaine de pays pour comprendre ce qui pourrait provoquer cette catastrophe et surtout comment l’éviter. Durant leur voyage, ils ont rencontré les pionniers qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation.

Financé en partie par des citoyens dans une campagne de crowdfunding, le film DEMAIN est sorti en décembre 2015 et totalise six mois après sa sortie plus d’un million de spectateurs en France, fait rarissime pour un documentaire.

Ces deux documentaires, dont la diffusion s’internationalise aujourd’hui, soulignent un mouvement en marche : l’envie de changer de regard sur le monde et, pour sa part, en être acteur. C’est également l’inspiration des médias SparkNews initié par Christian de Boisredon et du Projet Imagine de Frédérique Bedos dont nous nous sommes déjà fait le relais. Les questions de sens et de finalité, ‘en vue de quoi ?’ dirait Aubry Pierens, suscitées par ces médias soulèvent de vrais enjeux autour du sens du travail pour de nombreux collaborateurs d’entreprises, universités, associations ou collectivités territoriales : seront-elles capables d’accueillir en leur sein des espaces d’engagement et de participation à des projets porteurs de sens et créateurs de valeur partagée ? Ne pouvoir construire des réponses à cette recherche de sens que dans le cadre d’activités extraprofessionnelles, en soirée, le week-end ou au moment de la retraite, n’est plus possible ni souhaitable !

Les attentes des jeunes talents : une vie professionnelle alignée avec leurs valeurs

La capacité des organisations à mettre l’humain et l’innovation sociale au cœur de leur modèle devient un élément fondamental notamment pour attirer, fidéliser et engager une jeune génération connectée, informée et mobile.

C’est ce que révèle une consultation menée par IPSOS auprès de 3200 étudiants et alumnis de Grandes Ecoles françaises concernant leurs attentes professionnelles : « Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi. Et si l’Economie Sociale et Solidaire était une solution ? » En partenariat avec la Conférence des grandes écoles (CGE) et le Boston Consulting Group (BCG), cette étude a été publié dans le cadre du Prix de l’Entrepreneur Social de la fondation Schwab et du BCG en février 2016.

Etude Ipsos, un métier qui fait sens.jpgLes talents sont exigeants vis-à-vis de la qualité de leur futur emploi. Parmi les critères définis comme primordiaux ou très importants l’intérêt du poste (88%), l’ambiance (84%) et l’alignement avec ses valeurs (75%) caractérisent en premier lieu leurs attentes.

Des étudiants qui cherchent à créer du sens. Utilité (97%), innovation (94%) et développement des compétences d’autrui (88%) seraient les trois premières sources de fierté des jeunes au cours de leur carrière.

Ces jeunes talents qui bouleversent les valeurs de l’entreprise

Laura Zimer, Ashoka L'ExpressDans la même lignée et faisant référence à cette même étude, Laura Zimer, responsable communication d’Ashoka France [si vous ne connaissez pas ce réseau mondial d’entrepreneurs sociaux et d’acteurs de changement, faites impérativement un détour inspirant en cliquant ici !] a publié récemment sur le site de L’Express une tribune intitulée « Ces jeunes talents qui bouleversent les valeurs de l’entreprise » que je reprends ici. Elle pose très bien les enjeux de l’innovation sociale comme levier de performance de l’entreprise tout en soulignant les défis de transformation managériale permettant l’émergence d’intrapreneurs sociaux, ces « corporate hackers » qui font bouger les lignes de leurs organisations en suscitant de nouveaux modèles à la frontière de l’économique et du social.


« Les étudiants et jeunes diplômés envisagent désormais une vie professionnelle alignée avec leurs valeurs. C’est la vision même de l’ambition et de la réussite que la génération du  ‘millénaire’ redéfinit, questionne et réinvente : elles sont désormais synonymes d’utilité à la société, de capacité à innover et à permettre à ceux autour de soi de se développer professionnellement. La construction méthodique d’une carrière est remplacée par la recherche d’expériences épanouissantes et porteuses de sens.

 Le monde de l’entreprise est-il prêt à accueillir ces nouvelles recrues ?  

Confiante, curieuse, intrépide et ultra-mobile sur le marché du travail, cette génération de jeunes diplômés fuira les groupes qui n’auront pas réussi à mettre l’humain au cœur de leur modèle. Bien que d’avantage attirés par l’entrepreneuriat que leurs aînés, 54 % des jeunes interrogés s’imaginent tout de même rejoindre un grand groupe. Conclusion : les entreprises vont devoir se réinventer si elles veulent attirer, mais surtout retenir ces jeunes talents.

L’innovation sociale comme élément clé de compétitivité 

Pour relever ce défi, des groupes pionniers intègrent l’innovation sociale au cœur de leur modèle économique et à tous les étages de l’entreprise. Le laboratoire Making more healthpharmaceutique Boehringer Ingelheim a ainsi lancé en 2012 l’initiative Making More Health, qui consiste pour le laboratoire à repérer et soutenir des entrepreneurs sociaux opérant dans le secteur de la santé, afin de s’attaquer aux problématiques de santé globales, dans une démarche de co-création entre différents secteurs.

Un de ses axes stratégiques, le programme Executive in Residence, permet à des membres exécutifs de rejoindre pendant 6 mois l’équipe de ces entrepreneurs avec un double objectif : apporter leurs compétences à des organisations aux ressources limitées et connecter en retour l’innovation sociale au cœur du modèle économique du groupe. A l’intersection du développement stratégique et de la gestion des talents, ce programme a valu à Boehringer Ingelheim de recevoir en 2014 le Prix allemand de l’Excellence en Ressources Humaines. En opérant à l’échelle intersectorielle, le laboratoire pharmaceutique va en effet au-delà de l’identification des innovations : il donne un nouveau sens à sa vision et encourage ses employés à expérimenter, à développer de nouvelles compétences d’innovation, de changement et de leadership et à participer à la redéfinition du cœur de métier du groupe.

Mouna Aoun Banque postaleEncourager l’intrapreneuriat social 

C’est aussi en encourageant l’intrapreneuriat social que les grands groupes réussiront à retenir les meilleurs talents. Mouna Aoun, responsable marketing au sein de la Banque Postale, établissement servant une large clientèle de personnes en situation de grande précarité socio-économique, y a ainsi lancé en 2012 l’Initiative contre l’Exclusion Bancaire. En lançant des partenariats stratégiques avec des organisations sociales, elle y a instauré une véritable démarche collective d’innovation à objectif sociétal, et ce au cœur même des missions du groupe.

L’intrapreneuriat social permet à des employés en quête de flexibilité, de sens et d’impact d’entreprendre dans le cadre sécurisé de l’entreprise, sans se heurter à la rigidité des structures hiérarchiques. Moteurs de développement stratégique, ces intrapreneurs insufflent une nouvelle identité à l’entreprise, redéfinissent sa mission et y créent de nouvelles opportunités de développement personnel et professionnel.

Le manque de culture d’entreprise favorable à ces initiatives est encore une barrière majeure à leur développement, mais déjà, ces intrapreneurs commencent à faire bouger les lignes, bousculent la conception des structures hiérarchiques et brouillent les frontières entre monde de l’entreprise et engagement citoyen. 

Cette nouvelle génération est à la fois le symptôme et le remède. Conséquence de l’urgence des problématiques sociales et environnementales auxquelles nous faisons face, cette quête de sens peut aussi devenir l’un des moteurs d’une économie en plein renouvellement. »


Plus que jamais Sens et Performance ont destins liés : la complexification croissante des métiers peut vite s’apparenter à une accumulation de tâches à exercer qui perd toute signification et l’énergie de la mise en œuvre est alors au plus bas. Motiver, c’est donner un motif, puis un moteur à l’action. Le ‘pourquoi on est là’ doit devenir le premier ressort de l’engagement et de la performance des organisations. Dans le même temps, rendre un service de qualité, veiller à avoir des indicateurs de performance et créer de la valeur est fondamental pour avoir les conditions d’exercer sereinement et durablement sa mission.

Avec d’autres mots, c’est ce qu’exprime Michel Fiol, professeur à HEC, en parlant de management de conquête, viril, masculin, visionnaire, rationnel, tournée vers l’action et la performance, centrée sur l’individu et de management de finesse, plus subtil, plus humble, où l’entreprise est un tout. Ces deux notions sont complémentaires, car pour Michel Fiol, loin d’être opposées, elles ont tout intérêt à s’enrichir mutuellement.

Emmanuel Faber, PDG de Danone a une formule qui désigne bien l’enjeu de l’équilibre entre Social et Business, entre Sens et Performance : « L’économie sans le social c’est de la barbarie, le social sans l’économie c’est de l’utopie. »

Toutes les initiatives tendant à réconcilier l’économique et le social comme deux facettes d’une même médaille doivent être encouragées, développées et diffusées pour lever des impensables et ouvrir de nouveaux possibles porteurs de sens et créateurs de valeur. Pour cela, retenons la question proposée par Aubry Pierens et qui peut se révéler « atomique » dès lors que l’on accepte de demeurer dans l’inconfort de réponses rarement immédiates : « en vue de quoi nous agissons ? » C’est en exerçant notre capacité visionnaire que nous pourrons être acteur du changement car comme le disait le poète Apollinaire « Il est grand temps de rallumer les étoiles. » 

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Vers des communautés de travail inspirées : réinventons nos organisations ! avec Frédéric Laloux et Jean-Louis Lamboray

Le management des organisations semble avoir atteint ses limites. L’insatisfaction gronde, le désengagement progresse au détriment de la performance et du bonheur des salariés… Internet et les réseaux sociaux ainsi que la révolution du « co »  ont accéléré les phénomènes de porosité entre les différents services d’une organisation et avec le monde qui l’entoure. Le travail en réseau modifie profondément les organisations où les managers cherchent encore trop souvent à « organiser l’inorganisable » car, par nature, un réseau ne s’organise pas, il ne peut que se coordonner. Le modèle pyramidal contrôlant à priori des éléments cloisonnés doit ainsi aujourd’hui faire place à la coordination en temps réel de réseaux de collaborations décentralisés.

Cette rupture organisationnelle concerne tout le monde : entreprises, associations, universités, services publics… Au-delà de la gestion des interactions au sein d’un groupe, le management doit aussi mieux répondre à la quête de sens individuelle et à l’envie d’engagement, de liberté et de responsabilité des collaborateurs.

Cet enjeu majeur de la transformation et de l’adaptation des organisations était le thème de la septième soirée « Vivre l’économie autrement » que j’organisais au Centre du Hautmont près de Lille le 28 novembre 2015 : « Vers des communautés de travail inspirées : réinventons nos organisations ! » Plus de 350 personnes s’étaient donné rendez-vous pour découvrir les pratiques innovantes des nouvelles formes de management qui émergent et commencent à former un mouvement de fond.

VLEA

Nous avons eu la chance de recevoir Frédéric Laloux, un observateur avisé de ces structures non-hiérarchiques au pouvoir décentralisé, qui présentent un fonctionnement collaboratif plus performant et inspirant. En écho à son intervention, un autre de ses compatriotes venu de Bruxelles, Jean-Louis Lamboray nous a partagé un exemple concret du réseau mondial décentralisé Constellation qu’il a créé en 2004.

Frédéric Laloux, Reinventing OrganizationsAprès une quinzaine d’années comme consultant, notamment chez McKinsey, Frédéric Laloux est parti à la recherche d’organisations qui avaient changé de paradigme sur leur mode de management. Son enquête a fait l’objet d’un livre “Reinventing Organizations“ publié en anglais en 2014. C’est un succès planétaire à plus de 70.000 exemplaires, un phénomène inattendu pour un livre de management. Il commence à être traduit dans de nombreuses langues (> voir l’édition française a été publiée fin octobre).

Deux illustrations permettent de présenter Frédéric Laloux de manière non conventionnelle: ses interventions en soirée sont rares, la soirée Vivre l’économie autrement était d’ailleurs l’avant-dernière conférence qu’il faisait en France. Ce choix, qui correspond à une option pour un équilibre de vie personnel et familial, est déjà un premier message dans nos agitations permanentes et nos agendas débordants ! Autre clin d’œil qui nous interroge par rapport à nos besoins d’être ‘dans les bonnes cases’ sur la mission que nous exerçons dans nos organisations, avec des titres qui ‘sonnent bien’ même s’ils définissent souvent bien mal ce que nous y faisons, le profil LinkedIn de Frédéric est une seconde illustration de sa liberté intérieure : (experimenting life without a job identity). Expérimenter de la vie sans une identité professionnelle bien établie risque d’être de plus en plus commun à l’avenir!

Un changement de paradigme pour une nouvelle structuration des organisations

Le désengagement des salariés, que nous avons déjà évoqué dans ce blog, et qui concerne 9 salariés sur 10 est aussi à la base de la réflexion de Frédéric. Pour lui, les limites actuelles de notre façon de réfléchir au management sont peut-être une bonne nouvelle. En effet, cela permet d’entrevoir une autre logique où des organisations de toutes tailles se passent complètement du modèle pyramidal : « Une nouvelle logique est en train d’émerger. Mon observation détaillée d’une douzaine d’organisations très variées montre un mode de gestion bien plus puissant et… tout aussi structuré ! C’est en effet un des malentendus les plus fréquents sur ces organisations qui abandonnent la hiérarchie traditionnelle : on tombe dans une représentation très hippie où il n’y aurait plus de règles, plus de structures, chacun faisant ce qu’il veut dans le grand bac à sable de l’organisation… Il ne s’agit évidemment pas du tout de cela. Dans ces nouvelles formes d’organisation, il y a tout autant de structures mais elles sont plus agiles, plus réactives et bien plus porteuses de sens que les modes d’organisation habituels. »

L’agenda fou des managers, goulot d’étouffement du bon sens créateur de valeur

Un des symptômes les plus visibles de l’inadéquation des modes managériaux aux évolutions du travail et des attentes des collaborateurs se révèle dans la gestion du temps : les agendas sont devenus fous ! Or, dans un monde en plein bouleversement, l’écoute des signaux faibles et la proximité managériale sont essentielles. Mais cela requiert d’avoir de la « bande passante disponEtat de famine temporelle.jpgible » c’est-à-dire du temps matériel et de l’ « espace intérieur. » Or, comme le souligne le sociologue allemand Hartmut Rosa, l’accélération est la caractéristique de la société moderne, nous vivons dans un « état de famine temporelle », « une aliénation toujours plus grande qui nous rend de plus en plus incapables d’habiter le monde. »

Frédéric témoigne : « Les cadres et dirigeants d’entreprise vont d’une réunion à l’autre, chacune prévue des mois à l’avance, pour approuver, heure après heure, des décisions qu’ils ne sont pas en mesure de prendre, en essayant de faire sens de toute cette complexité. Et à côté de cela, il y a des personnes extraordinaires, au contact avec la réalité, qui sentent bien les choses et ont envie de les faire bouger dans le bon sens mais qui restent bloquées dans l’attente d’un prochain passage auprès du comité de direction ad-hoc pour valider leur initiative. »

Dans une organisation dans laquelle chacun est en mesure d’être force de proposition, quand la liberté se conjugue à la responsabilité, le pouvoir est redistribué et personne ne peut se plaindre d’être bloqué par sa hiérarchie. C’est une véritable expérience de libération : « Beaucoup de managers doivent apprendre à influencer différemment le système. Mais après avoir basculé dans un nouveau mode de gestion, ils se rendent compte à posteriori du poids qu’ils ressentaient auparavant pour motiver leurs équipes, les maintenir sous contrôle et les amener précisément là où il souhaitait, tout en devant faire bonne figure auprès de leur hiérarchie. Cette lourdeur disparaît au profit d’un plaisir retrouvé à faire un travail créatif… »

Ce basculement requiert du courage du lâcher-prise car le contrôle ne passe plus par savoir tout ce qui se passe dans l’organisation mais finalement dans ces nouvelles structures, le contrôle est bien plus fort car « le système s’auto-corrige constamment. » « La performance de ces organisations est généralement spectaculaire tant au plan financier que des parts de marché car elles libèrent des énergies phénoménales. Et pourtant, aucun des leaders ayant mené ce type de transformation n’était motivé à la base par un souci d’efficacité, d’agilité ou de plus de profits. Généralement, c’est une conviction intérieure qui fait dire que le modèle ne peut plus continuer, qu’il faut faire autrement. »

Seule la pyramide peut décider… de se passer de la pyramide !

Frédéric Laloux souligne également un des paradoxes de ce type de transformation managériale et culturelle : « Pour quitter un modèle pyramidal, il faut une décision du haut de la pyramide. » La décision de libérer les énergies par la liberté et la responsabilité de chacun pour favoriser le bottom-up se doit d’être top-down, venir d’en-haut pour s’appliquer sans faille à l’ensemble de l’organisation.

Dans cette interview de 7’22’’ réalisée en préambule à la conférence, Frédéric Laloux synthétise sa vision :

L’exemple éclairant de Buurtzorg qui a révolutionné le système de soins aux Pays-Bas en quelques années…

Pendant quatre ans, Frédéric est allé à la rencontre de ces « OVNIS managériaux » dans des secteurs d’activité et des géographies très différentes. Il a observé une quarantaine d’organisations, à but lucratif ou non, et s’est centré sur 12 cas étudiés plus en profondeur. Son livre relie entre elles ces expériences et les modes de fonctionnement de ces pionniers.

Frédéric Laloux a choisi de détailler un exemple significatif de ces nouvellesLogo Buurtzorg.jpg organisations qui transcendent nos manières habituelles de penser les organisations : il s’agit d’une structure de soins à domicile aux Pays-Bas, Buurtzorg, ce qui en néerlandais signifie « soins de proximité. »

Pour bien saisir la nouveauté du modèle, il faut bien comprendre le contexte de l’évolution du système de santé, révélateur d’un processus vécu dans beaucoup d’entreprises. A partir des années 1980, le secteur des soins à domicile a été ‘industrialisé’ faisant passer un grand nombre d’infirmières indépendantes vers des organismes de taille beaucoup plus importante employant des aidants pour prendre en charge des ‘clients’. L’idée sous-jacente était les économies d’échelle qu’une organisation plus efficace pourrait apporter à la Sécurité Sociale du pays. L’optimisation des ressources est devenue le maître mot. C’est ainsi un call center qui alloue efficacement les infirmières auprès de clients, qui ont perdu leur condition de « patients » dès lors que le lien soignant/soigné ne s’inscrit plus dans une continuité de relation. La différence de rémunération entre les infirmières les Buurtzorg patientèle.jpgexpérimentées et les plus jeunes a vu une spécialisation des premières pour les interventions complexes à plus forte valeur ajoutée. L’étude comparative de la productivité de chaque agent de santé a conduit à une normalisation des standards de chaque acte : 10 minutes pour une piqûre, 15 minutes pour une toilette, deux minutes et demie pour un bas de contention,… et au développement d’une nouvelle fonction : les planificateurs d’activité en charge de l’amélioration continue. Pour l’efficacité du système, un code barre est même installé à l’entrée de chaque domicile permettant de scanner les allées et venues des soignant pour enrichir les statistiques visant une médecine plus efficace. Chacun de ces processus est certainement très légitime pour celui qui le met en place. L’efficience du système semble découler de ces mesures permanentes.

Plusieurs ombres à ce ‘tableau de bord sous contrôle’ ne trouvent pourtant pas leur mesure : les clients détestent le service qu’ils reçoivent de la part d’inconnus qui ne les connaissent pas et changent en permanence. De leur côté, les infirmiers et infirmières sont devenus des robots, prisonniers d’un système où ils ne sont plus en mesure de faire ce qu’il convient.

Cette omniprésence de tableaux de bord « qui empêchent de voir la route » a été abordée dans l’article ‘Comment revenir au bon sens utile et créateur de valeur‘ et fait écho également aux dimensions subjectives et collectives du travail qui ont disparues au profit de la seule dimension ‘objective’ décrites par Pierre-Yves Gomez dans cet article sur le Travail invisible.

C’est dans ce contexte que, fin 2006, un infirmier ayant vécu ces évolutions, décide de Jos de Blok Buurtzorg 2créer quelque chose de différent. Jos de Blok lance avec trois autres collègues une initiative en partant d’une vision complètement différente des soins de santé. « Le sens profond de ce que nous faisons n’est pas d’optimiser chaque minute de chaque piqûre ! Il s’agit d’aider les personnes à vivre une vie la plus riche et la plus autonome possible. » Une infirmière chez Buurtzorg commence ainsi par s’asseoir pour prendre un café avec son patient pour échanger avec lui et bien identifier ses besoins, son réseau proche, ses relations familiales et optimiser l’écosystème d’entraide, en privilégiant une coopération avec les autres Buurtzorg patientèle 2.jpgacteurs du quartier. La coordination se fait par la mise en place d’équipes de 8 à 12 professionnels de santé dédiés à un quartier donné.

Une relation durable voire parfois intime s’instaure avec le patient, ce qui est valorisé de part et d’autre. Les clients préfèrent donc Buurtzog aux autres entreprises de santé et le personnel soignant préfère également travailler dans ce type de structure.

C’est ainsi qu’en cinq ans, Buurtzorg est passé de 4 personnes à près de 10.000, soit deux tiers des infirmières de quartier des Pays-Bas !

« Tout cela est bien beau, mais combien ça coûte ? »

D’un point de vue médical comme d’un point de vue financier, l’approche Buurtzorg est beaucoup plus efficace que l’ancien système. Les politiques de prévention et le diagnostic précis et rapide, conséquence de la bonne connaissance de chaque patient, évitent de nombreuses prises en charge coûteuses aux urgences hospitalières. Un rapport de KPMG a même conclut que Buurtzorg utilise moins de 40% des heures prescrites par les médecins, en rendant plus autonomes leurs patients. Avec ses équipes locales pluriqualifiées, maîtresses de leurs décisions et des frais de structure très réduits (pas de call center, pas de planificateurs, …) le résultat paradoxal peut se résumer ainsi : prendre le temps de s’asseoir pour partager un café est plus efficace que le minutage centralisé et optimisé par code-barres ! En d’autres termes, on peut être bien plus efficace quand on sort de la logique de l’optimisation. Le modèle Buurtzorg s’est donc imposé en quelques années et ravit l’Etat hollandais et ses finances publiques !

Pour en savoir plus sur Buurtzorg, l’article de Wim Sprenger, consultant-chercheur chez Opus 8, est très intéressant.  Le changement de modèle de Buurtzorg peut être imagé par les deux pistes d’évolution qui s’offrent à nous et représentent une question centrale pour toute organisation : accepter de rentrer dans un moule codifié aux standards mercantiles ou créer les conditions d’un épanouissement individuel et collectif basé sur la joie d’entreprendre soi-même.

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La frise du bas est emprunté à l’excellent livre « Transformez votre entreprise de l’intérieur, guide de l’intrapreneuriat social » d’Emmanuel de Lutzel et Valérie de la Rochefoucauld.

Frédéric Laloux précise bien que « ce modèle n’est pas juste différent à la marge » ; il s’agit de penser de manière fondamentalement différente l’organisation. Or, comme le disait Keynes, « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles mais d’échapper aux idées anciennes » : la transformation managériale vers de nouveaux modèles passe donc par un abandon des conceptions avec lesquelles on a fonctionné ‘depuis toujours’.

Les traits communs des cultures internes des organisations qui ont basculé dans ce nouveau paradigme managérial laissent apparaître trois percées fondamentales :

  1.  WholenWholenessess, c’est-à-dire la plénitude ou l’unité

L’égalité de dignité et de valeur des personnes est un principe de base. La richesse du groupe est liée au fait que chaque membre apporte sa contribution singulière. Cela requiert d’un environnement protecteur et bienveillant pour passer du mode ‘peur/séparation’ au mode ‘amour/lien’ qui permet l’expression de comportements authentiques où l’on ose exprimer ce qui nous tient le plus à cœur, ce qui fait notre humanité profonde. Il s’agit de tomber les masques et d’arrêter les jeux de rôles.

Frédéric invite à dépasser le cloisonnement de qui nous sommes, sur tous les plans : cognitif, physique, émotionnel et spirituel, rationnel et intuitif, féminin et masculin. Il illustre de manière très visuelle la manière dont nous nous coupons de nous-mêmes pour nous centrer sur ce qui semble être le seul masque acceptable dans le monde du travail : l’égo rationnel masculin, en mettant de côté la part plus profonde de nous-mêmes, notre côté féminin, notre intuition, nos émotions… « En fait, nous n’aimons pas qui nous sommes quand nous ne montrons que cette réduction de nous-mêmes; nous nous sentons floués quand nous portons ce masque. C’est sûrement l’origine du désengagement car quand on ne vient qu’avec un seizième de soi, on n’apporte qu’un seizième de son énergie ! Il faut apprendre à nous montrer le plus pleinement possible, voire à découvrir qui nous sommes à travers le travail que nous faisons. »

  1. Self-management ou l’autogouvernance :Self management.jpg

La liberté et responsabilité sont les deux faces d’une même médaille, le management repose sur la présomption de confiance. L’organisation pyramidale pouvait fonctionner dans un environnement peu complexe et stable où le contrôle des décisions pouvait être assumé par la hiérarchie. « Dans un environnement complexe, la pyramide atteint ses limites. Il faut des systèmes d’intelligence distribuée, d’autorité distribuée, comme dans un organisme vivant où les mécanismes de coordination fonctionnent sans une hiérarchie de pouvoir centralisée. La relation boss à subordonné s’en trouve profondément modifiée. L’intelligence collective est puissante : personne n’est, à lui tout seul, aussi intelligent que l’ensemble du groupe. Par conséquent, les décisions sont prises par sollicitation d’avis. Si chacun est pleinement responsable de l’entreprise, il fait ce qu’il y a à faire et doit s’intéresser à ce qui se passe en dehors du périmètre de son rôle et à faire observer les engagements pris par d’autres collègues. Des hiérarchies naturelles se mettent en place mais elles sont en évolution constante. »

On retrouve ici la transition d’une structuration pyramidale à une coordination en réseau développée par Marc Halévy et décrite dans l’article Gérer l’incertitude, faites-en votre alliée ! 

  1. Evolutionary purpose ou la raison d’être évolutive :Evolutionary purpose

« Toute entreprise a une âme, un projet, un ciment collectif partagé. Au-delà de la mode de se définir « Vision/Mission/Valeurs », si on prend au sérieux ce projet, les conséquences peuvent être étonnantes ! La relation avec ses concurrents peut être envisagée de manière complètement différente si on croit jusqu’au bout à sa mission. La pensée scientifique industrielle du management qui voit l’organisation comme un machine est basée sur le ‘predict & control’. On voit clairement où aller, on établit la stratégie et on s’assure que tout le monde va vers ce but bien déterminé. L’avenir étant incertain et mouvant, le prévoir et le maîtriser est peine perdue. La bascule doit s’opérer vers le ‘sense & respond’ en considérant l’organisation comme est un organisme vivant. Le rôle des dirigeants est alors d’écouter ce qui veut se faire naturellement… La direction doit être claire mais ces organisations n’ont pas de plans à 3 ans, à 5 ans, elles fonctionnent avec un minimum de budgets. On ne prédit plus l’avenir, on essaye d’écouter constamment et de réajuster. Les projets se déploient avec d’autant plus de fluidité que l’on renonce à essayer de les maîtriser. Si l’on reste centré sur la mission, les résultats en découleront. »

Christine Arena parle quant à elle de « High Purpose Company » pour signifier un élément qui se révélera chaque fois plus essentiel dans le management des entreprises au XXIème : c’est la « mission haute », la « vocation noble » de l’entreprise qui sera source d’engagement des salariés (cela donne sens, signification) et qui ordonnera (cela donne sens, direction).

L’intégralité de l’intervention de Frédéric Laloux lors de la soirée « Vivre l’économie autrement » se trouve ici (1h):


En écho à l’intervention de Frédéric, un praticien ‘sans le savoir’ de ce type Jean-Louis Lamboray, Qu'est-ce qui nous rend humainsd’organisations a réagit et partagé son expérience. Jean-Louis Lamboray est un médecin belge, fondateur d’ONUSIDA dans les années 1990. Il a quitté le monde des organisations internationales pour créer un mouvement associatif qui développe une approche pragmatique et efficace visant à trouver des réponses locales à des problématiques complexes.

Mettre les personnes au centre des solutions, une vision souvent absente dans nos organisations !

Dans les années 1990, alors que l’épidémie du sida continuait à fortement se développer, seuls le Nord de la Thaïlande, l’Ouganda et le Brésil avaient réussis à faire reculer le virus. A la base de cette réussite, les habitants de ces trois zones géographiques avaient expérimenté un cheminement commun : ils étaient sortis du déni, ils avaient fait du sida leur affaire et agissaient localement pour en venir à bout.

Intrigué par ces expériences et les résultats à contre-courant de la tendance générale, le docteur Jean-Louis Lamboray a cherché à comprendre et à partager ces bonnes pratiques. Il essaiera de développer cette approche terrain, bien loin des coûteuses approches techno et macro des experts, au sein d’ONUSIDA. Sans succès. C’est ce qui l’amena à quitter l’organisation pour créer Constellation en 2004.

Les parallèles avec le management, et notamment la réinvention des organisations pour des communautés de travail inspirées, sont nombreux. Deux éléments essentiels dans l’approche de Constellation rejoignent ce nouveau paradigme managérial : apprécier les forces locales, voir ce qui est, sans rester dans l’analyse de ce qui ne va pas et mettre en place un processus systématique et rigoureux d’apprentissage à partir de l’action.

C’est ainsi une invitation à changer notre regard pour construire une approche basée sur la confiance dans les capacités souvent inexploitées des personnes, en arrêtant de penser que nous avons la solution à leur place pour tout ce qui les concerne. Il s’agit également d’un modèle non pyramidal, inspiré par les organismes vivants.

Son expérience et le fonctionnement de Constellation ont été décrits dans le livre « Qu’est-ce qui nous rend humains ? » et dans l’article que nous lui avions consacré.

Voici l’interview de Jean-Louis Lamboray (6’48 ») à l’occasion de cette soirée « Vivre l’économie autrement » :


Un management placé sous le signe de l’humanité et de la collaboration est inspirant pour tous ceux qui veulent réinventer la manière d’exercer leur métier avec plus de bonheur et d’efficacité. Les exemples d’organisations ayant mis en pratique ces nouveaux modes d’interactions aux centres de décisions décentralisés semblent relever du bon sens, tant en termes d’efficacité des résultats que la satisfaction sur la manière d’y parvenir. De nombreuses résistances et la difficulté à abandonner les représentations du management héritées depuis des décennies semblent néanmoins constituer un frein au changement pour consentir à ce ‘bon sens gagnant sur tous les plans‘. Accueillir le ‘radicalement nouveau non maîtrisé’ passe en effet par l’acceptation personnelle de notre caractère limité, parfois loin de l’imaginaire du leader visionnaire tout puissant qui sait précisément où il va…

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